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L’ŒUF DUR — 13
Lettre 4 et dernière. Mercredi matin
Il se peut mon amie, que je me sois conduit cette nuit avec
insolence ou stupidité, mais il n’importe pas. Vivant tout près
d’Annie et couchant à trois pas d’elle, l’espace d’un couloir,
je me souvenais de son programme d’amour qui m’invitait
à la suivre dans sa chambre mardi soir. Il m’est curieux de
voir combien je m’attends peu aux dénouements qui comportent
de la gravité. J’y vais tout droit, mais sans m’en rendre compte,
et c’est, avec trop de subtilité, de savoir que j’y vais sans m’en
rendre compte qui me plaît. Je vous mens sans doute un peu.
Il y avait pour me tirer où je suis allé d’autres tentations que celle
de paraître philosopher mal, et de plus concrètes, une femme,
et le plaisir de la créer en usant d’elle ou même en en abusant.
Je vous parais peut-être parler du nez ? Ne m’en veuillez pas.
Je sens un contentement si plein et si gros dans tous mes membres,
que je me crois capable de toutes les impertinences, et entre
autres, de me moquer de vous.
Nous avions passé toute la journée de mardi allongés côte
à côte, Annie et moi, au milieu des pins de Sainte-Hospice.
Les aventures de la veille nous donnaient un vrai besoin de
repos, et le désir de nous en souvenir à haute voix en les em
bellissant.
Annie me disait :
— Quel dieu vous avez été Jean-Pierre ! — je vous revois
encore, en fermant les yeux (elle les tenait grands ouverts sur moi)
me serrant de plus en plus contre vous à mesure que le cercle
de ces brutes devenait plus étroit autour de notre danse.
Et soudain me soulevant d’un seul bras, vous vous jetez vers
elles, les heurtez, les malmenez, les remplissez d’une peur sourde
qui les fait s’écarter, se disperser, et, dispersées, s’asseoir.
— Moi, Annie, je vous revois les yeux ouverts, (je les tenais
clos) quand vous avez marqué de vos cinq doigts le visage de
l’Américain qui voulait vous emmener seule dans son auto
mobile. Et vous caressant contre moi, vous lui répétiez les
seuls mots d’anglais que vous sussiez : « stupid boy », « stupid
boy », et ne vous êtes interrompue que pour crier « Je ne
veux pas quitter Jean-Pierre, mon amant, mon vrai amant ».
A ce moment là elle sursauta, se releva, contrôla toute sa
robe avec ses mains.
— Non, pas encore, Jean-Pierre, ce n’est pas vrai, je n’aurais
pas pu ne pas m’en apercevoir, n’est-ce pas ?
Nous éclatâmes de rire. Elle se recoucha, et nous mîmes