L’ŒUF DUR
4
LJ rua Déclaration
Parmi les bruyères et les hêtres, seul, il revenait au foyer
paternel. Bizarre promenade tout de même I Arrivé de Paris
la veille, il avait arpenté tout le jour les terres brunes, les terres
grasses aux ossatures géantes de granit, le sol montagneux
fouetté par un vent rude dont le souffle avait bercé son enfance.
La tête alourdie par les mois vécus dans le tourbillon des rues
fourmilleuses qui forçaient aux observations cruelles et aux
haltes voluptueuses, mais amères, il cherchait un apaisement,
hanté par le souvenir de tant de romans, de tant de nouvelles
— jadis lues amoureusement ! — qui chantaient avec un bon
sourire plein de santé, dans une langue d’une fausse rusticité
et d’une vigueur insidieuse, la douceur qu’apporte à l’âme le
bruissement des forêts natales et la vision des gestes éternels
du paysan. Mais il restait triste, d’une tristesse sans agitation
et sans larmes qui avait provoqué le balbutiement trop précoce
d’un infini incertain mal dégagé des désirs mauvais. Et tandis
qu’il écoutait le tintement des clochettes des troupeaux, qu’il
cherchait à pénétrer sa campagne des jours d’aurore comme le
lierre pénétrait les murs craquelés du presbytère, qu’il espérait
dans la vertu d’une gauloiserie robuste jetée en patois au facteur
aviné et traînard croisé sur la route, il restait indifférent, sans
étonnement et sans joie de son retour, — autre ; devant les
fermes qu’il rencontrait, il replaçait des vies plus ou moins
tourmentées dont la trame lui était familière. Mais sa pensée
restait ce qu’elle était à la ville, — sans fraîcheur, sans surprises,
sans défaites; — comme les jours précédents les fantômes louches
vivaient dominés, mais agressifs dans les profondeurs de sa
conscience, cachés tels ces assiégeants tenaces et défiants d’une
citadelle investie mais forte. Jean se rappela, au milieu des houx
luisants, une nuit récente dans laquelle le désir amoureux,
après avoir revêtu la forme de mille sorcières grimaçantes gros
sièrement sensuelles et avoir utilisé toutes les névroses défraî
chies, n’avait cédé, une fois mis en déroute, que pour être rem
placé par une autre image dangereuse, elle aussi : Simonne. —
Aux heures malheureuses des nuits solitaires, après les rêves
épuisants, Simonne, dans un cadre violacé, taché par endroits
d’écarlate, apparaissait à la fois excitante et consolante : Tête
blonde, têtue et rêveuse d’une petite institutrice du pays de
Jean : Simonne. — Tandis que Jean demandait aux chênes des
. complaintes faciles, l’image violette balaya les littératures, fit
craquer un instant le cadre des stabilités intellectuelles et ricana