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L’ŒUF DUR
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Une Affaire d’Honneur
Pantaléon tira pour la septième fois la chaîne des cabinets.
Il s’aperçut alors qu’il tenait de l’autre main la photographie
sur le journal d’une jeune fille non pareille : « Ah ! se dit-il,
vive le papier couché. ! » puis, examinant de plus près : « Elle
est vraiment belle, je l’aime. » Un point c’est tout et c’est ainsi
qu’on fait l’histoire. Il rentra dans sa chambre, prit son chapeau
de paille, sa canne à crosse d’évêque et alla faire un tour à la
promenade. Il y pensait bien rencontrer Léonie (car c’était le
nom de la jeune fille). Du plus loin qu’il la vit, par une mimique
expressive il lui fit comprendre qu’il l’aimait. Détournant la
tête d’un air souverainement dédaigneux elle lui montra qu’elle
n’était point une femme facile. C’est alors qu’il acheta des roses
à une petite bouquetière. Les apportant à Léonie, il s’aperçut que
ces fleurs étaient pourries : « Mille pardons », dit-il. « Que non,
répondit-elle, c’est l’indice d’un esprit original et délicat. »
Les choses allèrent dès lors fort vite. Le soir, ils s’aimèrent
dans un lit d’acajou. Dans la suite, Pantaléon apprit que Léonie
était une dangereuse maniaque qui égorgeait les petits enfants :
C’est pour cela que son portrait était publié dans le journal.
« Bah ! pensa-t-il, j’ai passé l’âge de raison. » Et il parla de sa
découverte à Léonie qui riposta par cette chanson de Mayol :
Le Targui sur son mêhara,
Les Touareg sur leurs méhari
Ont mangé de la mort aux rats.
Mourront-ils du béribéri ?
Dans le faubourg de Mégara,
Ils se sont faits harakiri.
(Refrain)
Dans mes haras
De méhari
Le méhara
Aimé a ri.
Ce dont le Targui se targua.