L’ŒUF DUR
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JACQUES POREL
Loire
A Madame Alphonse Daudet.
Et le jardin commence où finit la banlieue.
Domaine indivis entre quarante millions d'habitants.
Les contrées, ivres de folklore, copient les cartes postales
Et font leur propre imitation :
L'Ecosse insiste sur son portrait, pipes, kilts et revenants.
L’Espagne danse encore ce pas
Pour un taureau tué il y a cinq cents ans.
L’Alsace guette les cigognes et « se souvient ».
La Bretagne observe au loin la mer et prépare un Pardon.
L’Italie parle sans arrêt de pâtes et de monuments,
L’Irlande d’herbages et de révolutions.
« Toi, Loire, tu n’as rien »...
Route non carrossable qu’on descendrait à pied, sans relever ses pantal<
Campagne « campagne», pays qui s’appelle « Durand »,
Cadre pour ce roman où l’action serait tout.
Je me repose, heureux d’un paysage sans pittoresque,
Auprès d’un fleuve lent que les nuages dépassent.
Loire absente, Loire taciturne,
La Loire glace sans tain, Loire couleur du temps.
D’un Jardin suspendu, terrasse du Château,
J’observe, perspective d’ardoise,
Les toits silencieux d’Amboise.
— La province a repris son deuil dominical —
Je renonce à fixer des traits dont l’absence m’a frappé.
11 me suffit d’entendre au rythme égal d’un coeur ami,
Ce bruit léger dans l’air qu’il écarte et dispose :
La parole mesurée du patriarche le plus intelligent
De mon pays.
(Octobre /92/.)