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L’ŒUF DUR
U
GEORGES DU VAU
Premier Janvier
JK }\obert Vaugouin.
I
Marcelle m’attendait dans sa maison du quartier de l’Abbaye.
Ses caresses, la joie grave et douce qui l’animait en ma présence,
me touchaient, et je goûtais la saveur de cette volupté frileuse,
mais enlaçante, qui se dissimulait mal dans une chambre peuplée
de chromos sérieux et alourdie par un épais mobilier de fille
pauvre ; j’aimais aussi cette sécurité provinciale qui nous enve
loppait tandis que sur la place de l’Abbaye le vent sifflait dans
les arbres et secouait interminablement un Christ dont la croix
rouillée gémissait dans la nuit. Mais trop souvent, aux heures
où la chair se repose de son trouble et où se réveille un grand
besoin de s’épancher, je trouvais Marcelle obstinément étran
gère ; je jouais dans la vie de son cœur le personnage énigma
tique et fatal : dès que j’esquissais devant elle des confidences
que j’eus aimées affectueusement accueillies, elle concluait à
une manière de bluff pitoyable, à une feinte mièvrerie et je
sentais tout de suite qu’elle avait dans l’esprit une sorte d’icône
aux lignes sévères qui me représentait et que, entre cette image
à demi mystique et ma maîtresse, s’échangeait un dialogue
défini qui m’échappait totalement. Et rien n’était triste pour
moi, après les belles heures de plaisir, comme le spectacle de
cette chambre frêle dans laquelle ma peine ou ma joie n’avait
aucun droit, de Marcelle enivrée, silencieuse, prolongeant nos
étreintes d’une rêverie vague et violente dont ses yeux perpé
tuellement mouvants m’offraient l’impénétrable reflet. Dans
ces moments le paysage lui-même m’était hostile : la place de
l’Abbaye, sombre, squelettique et glacée, avait quelque chose
de doctrinaire et semblait me contraindre à apprendre une leçon
prétentieuse et extravagante. Aussi, en ce soir de décembre où
l’année allait finir, retardais-je ma visite à Marcelle au souvenir
de ces heures si cruellement inhospitalières.