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L’ŒUF DUR 
U 
sa torpeur sournoise habituelle, irriter son fiancé par sa trans 
parente blondeur, et lui entendre dire — dictée romantique 
due à la simple apparition de l’année : « Partons pour ne plus 
revenir. » 
Devant ces exercices poétiques, ces célébrations lyriques, je 
m’interrogeais et je ne trouvais en moi — résonance assourdie 
et lointaine, — que quelques vers de Hugo qui chantonnaient 
sur un arrière-plan de la conscience : 
L'année en s'enfuyant par l'année est ravie. 
Encore une qui meurt, encore un pas du temps. 
Cette certitude de ma mémoire, la puissance de sa vie végé 
tative, son aptitude à se mouler sur les choses extérieures, 
m’amusaient ; mais par là m’était révélé avec rudesse l’atonie 
de ma vraie pensée. Par réflexe je regardais ma cavalière pour 
trouver en elle une courte mais profonde image qui me donnât 
prise sur ce renouveau qui allait m’échapper. Elle sortait du 
couvent et gardait dans sa robe d’un bleu uni cette gaminerie 
grave des petites pensionnaires qui vont frôler la vie. Gracieuse, 
pleine de curiosités et de réserve, elle semblait une de ces héroïnes 
mondaines et sentimentales des romans de Henri Rabusson. 
Le souvenir de ces récits dont je m’étais autrefois imprégné 
le parfum vieillot, en marge des thèmes latins, me remit en 
contact avec cette époque de la première adolescence d’une 
intimité si profonde que son rappel provoque toujours une féconde 
émotion. Désormais j’avais une sorte d’archet merveilleux pour 
rejouer cette nuit, ce bal, ce premier janvier sur un rythme 
profond et familier. 
IV 
J’allais m’asseoir — grisé par cette lourde joie dont on ressent 
la chaude étreinte durant les minutes totales de la vie — sur 
un canapé du vestibule, et, de là, je regardais la foule des dan 
seurs se briser sur les cassures des fox-trotts et s’alanguir sur 
les dernières mesures des longs tangos dont les notes renvoyées 
par le piano à demi brisé, semblaient provenir d’un instrument 
étrange et lointain. Près de moi, Jeanne Leclère songeait, un 
peu lasse : l’admirable dessin de sa silhouette brune, une cer 
taine majesté dans les lignes de son corps déjà affermi, ses yeux 
noirs extraordinairement profonds mais voilés par un sourire 
volontaire qui les déguisait sans les altérer, tout donnait à cette 
enfant de dix-neuf ans une incomparable beauté en quelque 
sorte éclatante, l’aspect solennel du fruit mûr sur le point de
	        
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