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L’ŒUF DUR — là 
connaissance d’Alice et de Corne. Je les suivais sous le platane, 
sur la péniche et dans la cave Carqueloune. Mais la cave était 
la meilleure. 
Nous nous asseyions entre deux foudres. Une ombre chaude 
venue du zénith tombait des hauteurs du hangar sur les épaules 
de Corne, autour de nos bras et de nos bouches. Alice me tirait 
la bonne aventure et Choléra exhalait des miasmes... Une sorte 
de fièvre surgissait des fûts, sautait dans nos poignets, esca 
ladait nos cerveaux. Alice était toute pâle, les yeux couleur 
d’eau bénite, la langue acide, des griffes au bout du nez et un 
bec derrière le dos. Elle me regardait longtemps, d’un air démo 
niaque, dans le clair-obscur. Et enfin, n’y tenant plus, je me 
glissais dans ses jambes, je mordais ses bas, je cassais ses lacets, 
je la déchaussais, je suçais la plante de ses pieds, longtemps, 
avec toute ma langue, jusqu’à ce qu’elle s’évanouît au milieu 
de ses soupirs et de ses souliers en cuir de vache, ou plutôt, 
jusqu’à ce que Choléra, ou dans l’occuJrence Corne, vinssent 
me tirer par les cheveux avec une brusquerie épouvantable, 
me volassent ma montre pour la cacher dans leur ventre, me 
griffassent au cou et au cœur, et me maintinssent pantelant et 
demi-nu dans le cercle de leurs regards et de leurs quatre seins, 
là, sur la terre fraîche, dans cette atmosphère d’alcool... 
Souvent aussi, nous allions passer nos après-midi dans l’île 
des Corbeaux. Nous prenions une barque plate ; nous ramions 
à tour de rôle. L’odeur de l’eau enivrait rapidement Corne qui 
bientôt battait des mains, déclamait des devinettes, tirait la 
langue au soleil et crachait sur les avirons. Alors je la prenais 
par les pieds, et je plongeais sa tête dans l’eau, tandis que ses 
jupes retroussées m’offraient un pantalon énorme, pareil à 
deux nuages du genre nimbus, blanc avec des dentelles, et deux 
bas se prolongeant jusqu’à l’infini. Nous abordions sur une rive 
sale, parmi des choux en pomme, près d’un chien crevé. Alice 
et Choléra sautaient d’un seul coup à la façon des chattes. 
Quant à Corne, je la prenais dans mes bras, je la portais à terre ; 
je n’en finissais pas de la déposer sur le bord, toute lourde, 
presque pâmée, le visage et les mains pleins de Marne. 
De jour en jour, d’ailleurs, Corne devenait plus molle. Le 
soir de la nouvelle lune, sous un prétexte archaïque, elle m’em 
brassa sur la bouche. Plus tard, elle consentit à pisser dans mes 
mains. Son besoin de me toucher, de me palper, devenait into 
lérable. Elle se mit à lire le marquis de Sade et Les Onze Mille 
Verges de Guillaume Apollinaire. Un matin, tandis qu’Alice et 
Choléra vaquaient à leurs ménages, elle m’attira dans la cave 
Carqueloune,, et devant cinq cents tonneaux, elle m’embrassa. 
Nous fûmes sages et passionnés. Je suçais son nez, je flairais
	        
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