L’ŒUF DUR — 14 
44 
ses aisselles, au poil fin et ammoniacal. Elle, elle délaçait mon 
gilet, me pinçait la peau, me chatouillait les mamelles ou quelques 
côtes. C’était adorable et esquintant. 
Epidémies 
Jamais deux sans trois. 
Alice et Corne sont mortes. Reste Choléra ! 
Mais je ne puis tout de go conduire mes lecteurs à San-Muguel. 
Je sens toute la convenance d’un intermède. Ce sera une sorte 
de méditation naïve et lugubre dans le cadre d’une cholérique 
Barcelone. 
Donc une attirance mêlée d’effroi, un vaste instinct de des 
truction me poussaient chaque jour davantage vers Pampe- 
lune. Mon intelligence, mon cœur, mes pieds protestaient, 
chacun avec sa langue propre. En vain ! Par étapes, et parfois 
avec des reculades, je me rapprochais, peu ou prou, de l’Espagne. 
De Seaton à Calais, de Calais à Strasbourg, de Strasbourg à 
Cette, de Cette à Tunis, de Tunis à Barcelone, comme un oiseau 
encerclant sa proie (mais la proie, c’est moi !) je me rapprochais. 
Lorsque j’arrivai à Barcelone, le choléra ravageait la ville. 
Il mourait environ cinquante huit mille sept cent quatre-vingt- 
dix-neuf personnes par jour. Les femmes surtout succombaient 
en beauté, et l’espèce s’en faisait rare. Les théâtres étaient 
tendus de noir, et la Bourse elle-même chômait. Dans les charcu 
teries, les cochons étaient passés maîtres. Les maisons de modes 
étaient pleines de mannequins morts. Les boutiques, les échoppes 
regorgeaient de bottines et de rhum. Parfois, sur les boulevards 
déserts, passaient des bandes de vaches en quête d’un peu de 
paille. Le Grand-Palais, portes grandes ouvertes, était vide. Sur 
le port, les pilotes gisaient deux par deux le long des jetées, 
raides comme des ancres. Par douzaines, tous les matelots mou 
rurent. Et un soir, à travers les passes vertes, tous les vaisseaux 
prirent ensemble le large avec des équipages de cadavres. 
Dans la ville, il ne restait d’ouverts que les églises et les 
bordels. Ce sont là deux bons refuges devant la mort. Mais 
je ne désapprouve pas les hommes intelligents qui choisissent 
les églises. Sur l’échiquier de la vie si vous ôtez la pièce Dieu, 
il ne reste que des pions. Eh bien, j’aime mieux le grand jeu 1 
Mais la populace préfère les bordels. Ils fleurissaient rouges 
et jaunes tout le long de la Calle di Merda, superbes avec un
	        
Waiting...

Nutzerhinweis

Sehr geehrte Benutzerin, sehr geehrter Benutzer,

aufgrund der aktuellen Entwicklungen in der Webtechnologie, die im Goobi viewer verwendet wird, unterstützt die Software den von Ihnen verwendeten Browser nicht mehr.

Bitte benutzen Sie einen der folgenden Browser, um diese Seite korrekt darstellen zu können.

Vielen Dank für Ihr Verständnis.