L’ŒUF DUR
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GEORGES DUVAU
Aube décolorée
Je me soulève de l’ombre molle dans laquelle, à demi engourdi,
j’ai travaillé sur quelques livres scolaires. Le crépuscule de
juin alourdit l’espace : chargé de relents moites de cuisine,
l’été s’abat dans ma chambre d’hôtel et mord sur ma chair.
Je suspends le cours assoupi de la journée : je m’installe dans
un rythme plus ample et toutes mes sensations jouent comme
les postes de T.S.F. au passage des ondes hertziennes. Contact
du moi et de la vie, sans tout de même l’enfantillage de marquer
les points. Buée slave : au fond de la cour une servante russe
répète sans arrêt les premières mesures de Lison-Lisette sur
un ton de badinage attendri qui attire les quolibets des valets
de chambre, beaux rustauds de la Nièvre, bavards et satis
faits. Je me retire sans nonchalance vers le spectacle plus
intime que m’offre la glace ; ma silhouette fortement dessinée
dans le clair obscur obtenu par une faible ampoule électrique ;
image d’un réalisme poussé à bout qui me rappelle délicieu
sement les peintures des vieux Espagnols : le visage brun marqué
de gros traits, les maxillaires proéminents, les yeux éclairés
en dedans livrant un égoïsme à peine affecté et le dégoût des
commodes franchises, composent une physionomie d’appa
rence facile à lire pour ceux qui se piquent de psychologie.
Le portrait se complète enfin d’une élégance faite de raideur
due à une surveillance aiguë de soi-même, mais n’excluant
pas une certaine aisance causée par l’attention simultanée à
des points de vue très différents. Je me sens à l’aise devant cette
extériorisation : cette image ne me traduit pas assez exactement
pour me livrer, et cependant elle atteint une note juste : une
expression de cristallisation pesante, quelque chose d’encom
brant et de définitif.
Pas de soucis matériels, pas de petites inquiétudes et trop
de sagesse. Dans quelques jours, j’aurai en poche mon diplôme
de licencié en philosophie. Une aptitude naturelle aux formes
abstraites de la pensée, le maniement familier des philosophes