L’ŒUF DUR
15
34
VALERY LARBAUD
Rldasedlrad les dlcmfhypbgf
Il y a quelques jours, étant de passage à Nantes au retour
d’une excursion à Belle-Ile, j’ai lu dans un journal de Paris
que j’allais publier un livre formé de plusieurs nouvelles dont
une, la dernière, était intitulée « Rldasedlrad les dlcmfhypbgb ».
En province française, je lis volontiers les journaux de Paris.
Il me semble toujours que je vais y trouver des nouvelles de
mes amis, de mon quartier, de ma maison. Un fait-divers qui
s’est passé dans mon arrondissement m’intéresse comme si je
connaissais les gens qui y ont joué un rôle : et s’il y avait à
Paris, comme à Londres, des journaux de quartiers, j’achè
terais, en même temps que Le Journal, Le Temps et L'Intran
sigeant, le quotidien du cinquième arrondissement, qui s’appel
lerait, par exemple, La Lanterne du Panthéon ou peut-être L'Ame
latine.
Voilà pourquoi, pendant tout mon séjour à Nantes, je n’ai
pas manqué d’acheter les journaux de Paris. J’avoue qu’ils
ne m’ont donné aucune nouvelle de mon quartier. Ils n’ont
même pas su me dire où en étaient les travaux de repavement
des boulevards et de la rue Soufflot. Mais en compensation
ils m’ont appris qu’on allait publier un certain nombre d’ou
vrages de mes amis, et un d’entre eux m’a même donné des
nouvelles de moi-même, nouvelles qui m’ont un peu surpris,
puisque, si je me souviens bien d’avoir écrit trois des ouvrages
qu’il annonçait sous mon nom, je suis très assuré de n’avoir
jamais écrit «Rldasedlrad, etc... ».
Et pourtant ce journal l’affirmait sans hésitation aucune.
Un certain nombre de personnes que je croisais dans les rues
de Nantes l’avaient lu comme moi, et ceux qui s’en souvenaient
encore devaient en être persuadés. Si un ami, de passage à
Nantes, m’avait aperçu dans la foule, rue Crébillon, et m’avait
appelé par mon nom, il aurait pu se trouver un passant qui