L’ŒUF DUR
15
38
ROBERT HONNERT
Etude de chair : réveil
...Max se réveilla aux environs de neuf heures ; il se sentait
depuis quelques secondes écrasé par un corps qui n’était pas
le sien, et, subite ent, les sensations se mirent à rentrer dans
sa conscience encore chancelante, comme un coup de poing.
Après une oscillation douloureuse, on recouvrait la chambre
d’hôtel, et l’œil se retrouve accroché par le papier bleu, barré
de larges raies d’or, qu’il avait vu, tout différent, à minuit,
sous la double lampe électrique, en rentrant du music-hall.
On se rappelle tout ce qui s’est passé, et l’on éprouve, devant
ce rêve réalisé, la même sensation d’étonnement et d’écœurement
que devant des gâteaux trop vite mangés. Depuis des mois,
on a désiré passer la nuit avec une femme, on vient d’être secoué
par une foule d’impressions qu’on a jalousement collectionnées,
et l’on se découvre des paupières lourdes et des regards nou
veaux.
La pensée est d’abord absente ; on sait qu’elle ne tardera pas
à se présenter ; mais on ne fait rien pour hâter son retour ; on
fera appel à elle plus tard, pour mettre ordre dans les richesses
qu’on est en train d’acquérir, mais on se rend confusément
compte qu’elle gâterait tout, et, aussi longtemps qu’on le peut,
on se contente d’être une peau, des muscles qui se ressaisissent,
un corps, et cela est suffisamment merveilleux.
Avant que le sommeil ne vienne, toutes les parties du corps
étaient joyeuses, et il y trouve encore des lambeaux de joie,
comme on voit des débris de serpentins et des lampions crevés
sur la place publique, le lendemain d’une fête nationale ; et
de même qu’il reste quelques lampions allumés au milieu des
girandoles éteintes, de petits frissons de plaisir courent encore
comme des survivances sur le corps inerte. Car le corps à peu
près tout entier est devenu inerte ; on s’en rend compte gra
duellement ; c’est à peine si l’on sent les draps qui effleuraient
si délicieusement un épiderme décidé à se réjouir de tout, un
pli de l’oreiller qui agaçait les muscles du cou, et surtout le
corps de la femme qui semble pendant la nuit s’être vidé de sa
chaleur et de son électricité. On passe d’abord, à cette consta
tation, par un état neutre d’étonnement, que le souvenir des
joies, des secousses, de toute la vie précédente transforme assez