Volltext: Ça ira (4 = 1920, juillet)

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ÇA IRA ! 
Une déconvenue 
Sur les cinq heures, Jacques Roseau 
quitta la Sorbonne. Il était étudiant à la 
Faculté des Lettres. Les cours terminés 
et le cahier sous le bras, il descendait le 
boulevard St. Michel. Il habitait du côté 
de Montparnasse mais il allait dans la 
direction de la Seine, car le soir de 
novembre était doux et tiède et l’invitait 
à faire un tour de promenade. 
Jacques Roseau s'était tout récem 
ment fixé à Paris. Tout lui était encore 
sujet de surprise. Il se trouvait seul pour 
la première fois de sa vie, abandonné à 
ses inclinations, et devant l’agitation de 
la vie parisienne, le vertige dispersait 
son être. 
Il avait pris ses inscriptions à la Sor 
bonne et il en concevait une certaine 
fierté car il pouvait maintenant regarder 
les choses de haut, du haut de la Mon 
tagne Ste Geneviève. Il ne tarderait pas 
à se lier à des camarades dont la situation 
était analogue à la sienne. Cependant, 
sa solitude lui pesait un peu, d’autant 
plus qu’elle était environnée par la 
multitude compacte qui enfiévrait Paris. 
Arrivé devant la fontaine St-Michel 
Jacques aperçut l’autobus Montmartre 
qui était sur le point de partir. Il décida 
de pousser jusque là sa promenade afin 
de se donner quelque récréation. Il s’in 
stalla sur la plate-forme. L’autobus partit 
et emporta Jacques à travers le cœur de 
l’immense ville. 
De vastes perspectives fuyaient de 
vant lui. Le soleil baissait, un soleil 
étouffé par un rideau de nuages gris 
comme un louis d’or au fond d'un bas 
de laine, et jetait sur le pavé boueux 
des reflets obscurs. Parmi ces tons noirs 
et or se découpait la flèche grêle de la 
Sainte Chapelle. Noir et or ; c’étaient 
les couleurs à la mode et ce soir là elles 
se partageaient le tempérament contra 
dictoire de Jacques. 
Secoué par la trépidation du véhicule 
Jacques respirait avec une jouissance 
singulière l’odeur d’essence et de gou 
dron qui est comme le parfum sui generi 
de la capitale, Et il songeait aux privi 
lèges que lui réservait son séjour à Paris. 
Il avait quitté le train régulier de la vie. 
Son penchant inné pour l’indépendance 
était porté à son comble. Il était libre 
d’aller de Montparnasse à Montmartre. 
Rien ne lui manquait et pourtant il res 
sentait un grand vide car il n’avait 
personne à qui communiquer ses sensa 
tions. 
Montmartre. Jacques Roseau descen 
dit. La nuit tombait. La ville commençait 
de s’illuminer. Il remonta les boulevards. 
Quelle confusion de monde. Jacques 
aperçut les théâtres, il découvrit les 
cabarets avec leur aspect rustique. Le 
Moulin-Rouge se dressait dans l'obscu 
rité. Cela lui rappela les grands horizons 
circulaires de la Hollande où de petits 
moulins se filigranaient sous des ciels 
vaporeux. L’idée d’avoir un jour vécu 
en plein ciel accrut encore le sentiment 
d’oppression qu’il éprouvait. Jacques, 
moins qu’un autre, était fait pour vivre 
seul. Autant ses pensées étaient gaies 
lorsqu’il avait quelqu’un à qui les confier 
autant elles devenaient moroses lorsqu’il 
se trouvait réduit à se replier sur 
lui-même. Parmi cette affluence de gens 
venus de tous les pays du monde il n’y 
avait personne qui le connaissait, lui, 
Jacques Roseau, et qui voulait lui 
adresser la parole.
	        
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