Volltext: Ça ira (4 = 1920, juillet)

ÇA IRA ! 
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Place Ciichy. La lueur fauve des 
lampes à arc inondait le pavé humide et 
sombre, noir et or, et se répandait sur 
les échoppes débordant de fleurs, 
mimosas, lilas et violettes. Jacques 
passait. Soudain quelqu'un lui toucha le 
bras et il entendit une voix qui s’adres 
sait à lui, parfaitement, quelqu’un l’avait 
aperçu dans la fournaise et l’interpellait: 
“ Mon bon monsieur, achetez-moi mes 
violettes. „ C’était une pauvre femme 
frileusement enveloppée dans un châle 
et qui lui tendait un bouquet de violettes 
fraîches. Jacques refusa évasivement. Il 
ne pouvait cependant pas lui acheter 
ses violettes à cette pauvre femme, 
mon Dieu, qu’en aurait-il fait ? Qu'im 
porte. Jacques se réjouissait de ce léger 
incident et comme l’autobus Odéon 
stoppait devant lui il se glissa parmi le 
flot confus des voyageurs. 
Le lendemain après dîner Jacques' 
flânait au quartier latin, en attendant 
l’heure des cours. Tout de même, se 
dit-il, il faudrait que je trouve quelqu’un 
à qui acheter des violettes, puisque c’est 
l’usage à Paris ; et il suivit une gentille 
petite péripatéticienne qui venait de 
sortir du Luxembourg. 
Il passa près d’elle. C’était une 
créature charmante. Des cheveux d’un 
blond cendré ; des yeux flamme de soufre 
et dans toute sa personne l’élégance un 
peu hautaine qui n’appartient qu’aux 
parisiennes. Jacques hasarda un regard 
sur elle mais elle ne s’en aperçut point. 
Il insista mais elle baissa aussitôt les 
yeux. Mon Dieu, que les femmes sont 
donc vertueuses à Paris, se dit-il, mais 
qui sait ? peut-être ne le sont-elles 
qu’avec moi. Cette pensée lui fit peur. 
La jeune femme s’était arrêtée devant 
la devanture d’un libraire. Jacques 
s’approcha d’elle. Lui aussi s’intéressait 
aux livres. Il se dit : c’est une intellec 
tuelle. Elle avisa une pile de bouquins 
tout frais qui sentaient encore l’impri 
merie et elle en enleva un exemplaire. 
C’était une édition nouvellement parue 
des Fleurs du Mal. 
Jacques Roseau la regardait du coin 
de l’œil avec un sourire amusé. La jeune 
femme feuilletait les pages du livre du 
bout de ses doigts délicieusement gantés, 
lorsque soudain d’un geste léger elle prit 
le livre sous le bras et s’en alla d’un air 
désinvolte et plus dédaigneux que jamais. 
Jacques en demeura quelques instants, 
rêveur. 
Voilà comme on cueille les fleurs du 
mal, se dit-il. C’est vrai, ce larcin doit 
singulièrement augmenter le charme de 
cette lecture. Quelle perversion élégante 
dans ce geste. Non, ce n’est pas à celle-là 
que je me permettrai d’acheter des 
violettes. p AUL neuhuys.
	        
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