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ÇA IRA !
d’une sensation. André De Ridder
ajoute qu’en agissant ainsi ils évitèrent
l’émotion littéraire des romantiques et
des premiers impressionnistes. Affirma
tion toute gratuite, car peut-on imaginer
œuvre plus anecdotique (malgré ou
plutôt à cause de son dynamisme de
contrebande)que le Songe duVagabond
de Le Fauconnier, par exemple ? Cet
art, quoiqu’en dise M. De Ridder sort
bien de la même inspiration réaliste et
superficielle qui caractérisa l’impression
nisme. Et loin d’être un progrès, il est
un retour vers le passé, dont il est bon
de signaler le danger.
Roger Avermaete, dans différents arti
cles de critique parus dans “ Lumière „,
semble également vouloir prôner cet
abandon des conquêtes réalisées — au
prix de quels efforts ! — par les cubistes
de la première heure et souhaiter qu’on
en revienne vers un art essentiellement
sensuel et conçu pour la seule satisfaction
des yeux. “ Comme on a fait des vers
non pour le sens mais pour le son,
— comme on a fait de la musique qui
ne voulait rien dire, pour le simple plaisir
de faire de la musique, — il est très
possible de faire de la peinture pour la
joie de la couleur. Ceci me semble une
excellente tendance „ (N° 8, p. 124).
Nous avons dit en quoi l’expression
nisme est plus et mieux que cet u impres
sionnisme exaspéré „, ainsi qu’ Aver
maete baptise lui-même ce genre en
parlant du peintre Jan Cockx. En somme,
cette conception du rôle de la peinture
se réduit à celle qu’Henri Matisse
émettait, il y a longtemps, en souhaitant
que “ l’œuvre d’art fut pour l’homme
d’affaires, aussi bien que pour l’artiste
de lettres un calmant cérébral, quelque
chose d’analogue à un bon fauteuil qui
le délasse de ses fatigues physiques „. On
avouera que méconnaître les recherches
et les résultats atteints par les peintres
cubistes, au point d’en revenir à cette
puérile théorie du tableau destiné uni
quement à flatter les yeux par d’aimables
couleurs, n’est pas précisément être
partisan d’une évolution progressive de
l’art pictural. Aussi cette tendance, si
elle était unaniment adoptée, ne serait-
elle autre chose qu’une dangereuse
rétrogression, une réaction néfaste.
D’ailleurs, la meilleure preuve qu’elle
est loin d’être la conclusion logique et
salutaire du cubisme intégral, c’est que
la plupart des peintres qui la suivent, au
lieu d’avoir évolué de la forme intransi
geante du début vers ce succédané
d’expressionnisme, n’ont pas participé
au mouvement initial : à cette époque
ils fabriquaient encore des toiles impres
sionnistes. Ce ne fut qu’après coup,
lorsque les principes du cubisme eurent
définitivement triomphé, qu’il leur vint
l’idée de changer la forme de leur art,
tout en restant incapables d’en régénérer
l’esprit. Et maintenant, ce sont précisé
ment ceux-là qui prétendent être les
seuls à avoir choisi la bonne voie, créant
ainsi une confusion qui menace de
discréditer l’art expressionniste tout
entier. Car en voulant réduire celui-ci à
une simple transformation technique, ils
sont cause de ce que le public ne cherche
pas à en apprécier la valeur véritable.
De plus, de cette façon ils le rendent
accessible à n’importe quel “ passéiste „
qui, se contentant de faire quelques
concessions à ce qu’il croit être la mode
nouvelle, deviendra un fort médiocre
expressionniste ; finalement le public en