154
ÇA IRA !
Et, bien entendu, cette œuvre est
complexe comme la personnalité qu'elle
exprime. Faite toute entière de con
trastes et de dualismes qui ne se laissent
pas analyser en quelques lignes, elle
forme un ensemble dont le rythme mou
vementé est équivalent à celui de la
Vie elle-même. Cérébralité et sensua
lisme, voilà les deux éléments qui se
heurtent dans l’œuvre de Paul Joostens
et qui s’y servent mutuellement de
repoussoir. Ce qui alimente cette céré
bralité, c’est le mysticisme inné de
l’artiste, qui se complaît dans l’interro
gation inquiète du mystère du monde et
explore les régions les plus inaccessibles
de la pensée et du cœur. Mais en même
temps il aime s’arrêter aux plus petits
détails quotidiens s’ils sont caractéris
tiques de la vie moderne. Son tempé
rament de peintre lui fait surtout élire
les accessoires d’une sensualité quelque
peu morbide et qui s’opposent de façon
frappante à l’inspiration mystique de
certaines de ses toiles.
Ce sensualisme a toujours été une des
valeurs dominantes de l’œuvre de Paul
Joostens. Ses peintures impressionnistes
ainsi que les nombreux dessins qui datent
de cette période en sont tout imprégnés :
fillettes vicieuses aux précoces nubilités,
prostituées sereinement impudiques, éro
tisme. Les œuvres suivantes, malgré la
transformation de la technique, pré
sentent cependant un caractèreidentique
quant au fond. Ce sont de vastes com
positions décoratives, éclatantes de
lumière, où des formes dorées vibrent
au milieu d’une opulence de fruits, de
fleurs et de toute une nature généreuse.
Mais petit à petit un autre souci se
manifeste. L’artiste ne se contente plus
de cette volupté de couleurs chaudes et
de formes abondantes et pleines. Il veut
les employer à l’expression plastique de
conceptions abstraites et il réalise d’im
menses fresques, d’une rare virtuosité
d’exécution et d’une grande valeur
décorative, mais dont le symbolisme
est parfois outré et trop littéraire.
Joostens ne s’en tient pas là. Tenacement,
il s’efforça de donner à son art un sens
plus largement humain et une portée plus
universelle. Il s’achemine ainsi vers
l’expressionnisme dont il adopte les
moyens d’expression : délibérément il
s’attaque à la forme naturelle, s’acharne
à détruire tout vestige impressionniste
et répudie définitivement l’imitation
béate de la nature extérieure. Dés lors,
il ne copie plus, il crée. Il établit des
équivalents plastiques des sensations que
lui procure le spectable des choses. La
Madone Russe et mieux encore La
Dame aux Camélias résument l’effort
de ce moment de sa carrière. C’est
probablement l’époque où la technique
de Joostens est la plus abstraite et où
l’énergie révolutionnaire du peintre se
manifeste de la façon la plus intense.
Joostens ne se contente pas d’être révo
lutionnaire en paroles, mais c’est impi
toyablement qu’il rompt avec le passé et
qu’il en détruit en lui-même jusqu’aux
moindres attaches. Systématiquement il
rejette toutes les conventions et toutes
les entraves afin de pouvoir bâtir le style
nouveau sur des bases entièrement
vierges de toute réminiscence.
Grâce à ce labeur de destruction, une
période de ferme constructionnisme fut
possible. Nous assistons aujourd'hui à
ses premières réalisations. Œuvres sen
sibles, dans lequelles l'artiste a transposé