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ÇA IRA !
programme, nous le savons, est à leurs
yeux un ensemble d'illusions et de con
ventions, ils prennent la défense d'un
sophisme contre la réalité et contre
l'évènement). Mais la signification de
leur geste leur échappe, et les meilleurs
d’entre eux ne se rendent même pas
compte, peut être, qu’elle est tout entière
dans leur volonté obscure de résistance
aux caprices des évènements
*
* *
]’ai dit ailleurs qu’un conflit latent
mettait aux prises les historiens et l’his
toire ; — les uns qui sont des éxégètes
des faits et des mauvaises déductions
qu’ils ent tirent, l’autre étant toute en
tière esprit. Je dirais volontiers, pour
m'expliquer davantage, que les histo
riens comme les politiciens ravalent la
réalité à la taille des évènements et
qu’ils sont incapables de voir, à travers
ceux-ci, ou au dessus d’eux, la réalité
souveraine. Les historiens épiloguent
sur les évènements, l’histoire repose sur
la réalité. Or ce sont là des termes et
des forces contradictoires.
Je prendrai des exemples pour mieux
expliquer ma pensée, et puisque nous
vivons à une époque aussi favorable à
la méditation, j'en prendrai de contem
porains. Ainsi la renaissance de la
Pologne, ou la création de la Tchéco
slovaquie sont des évènements mais non
des réalités. La Pologne fut jadis une
réalité, — en fait, bien vacillante — et
qui se décompose peu à peu, moins par
les conquêtes de ses voisins que par
l'affaiblissement et la lente déconfiture
de ses facteurs intimes. Supprimée, elle
ne survécut que dans le cœur de quel
ques hommes, assez généreux, assez élo
quents, et — disons le — assez héroïques
pour donner du relief à ce sentiment.
La nécessité d’une Pologne ne se fai
sait pas sentir dans le cadre européen,
et c'était une preuve que sous une belle
légende et des discours pathétiques,
aucune réalité polonaise ne s’affermissait
plus. Le traité de Versailles a rendu la
vie à la Pologne ; au début de la guerre,
tous les monarques intéressés à se créer
des sympathies dans le monde firent
déclarations sur déclarations pour pro
mettre à la Pologne une renaissance
magnifique. C’était un cri sentimental
jeté dans la tempête sentimentale de la
guerre. Après l’armistice, on se crut
obligé de réaliser la promesse. Parce
qu’une Pologne avait existé jadis, on
en recomposa une, de toutes pièces, ar
tificiellement. (On la refit, d’ailleurs parce
que les espoirs capitalistes lui assignaient
un rôle de gendarme). Le résultat ne se fit
pas attendre : nid d’intrigues et de
passions exaspérées, sans existence na
tionale, sans frontières positives, sans
rythme, sans organisation, — sans réa
lité, en deux mots — la Pologne se débat
contre une mort violente, et même si le
sort lui permet de trainer une vie pitoy
able, elle sera asservie moralement aux
peuples occidentaux, et économique
ment à ses voisins. Sa reconstitution fut
un évènement, c’est à dire une création
d’hommes d'Etat et d’historiens, que
l'histoire négligera.
Poussons plus loin l’exemple : les rares
états ou groupements qui ont un pro
gramme international, — l'Italie et les
travaillistes anglais, entre autres — ne
se soucient pas de l’évènement polonais
et restent attachés à la réalité russe, ou
plutôt à la réalité européenne, d’équi
libre, de liberté et d’entente économique.