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Ceux qui, comme la France Blanche,
l'Angleterre officielle, et les pauvres
Belgiques qui meublent les coins du con
tinent n'ont pas même l’idée d’un pro
gramme, sont enchaînés par l'évènement
polonais (dont ils sont responsables) et
ils oscillent misérablement entre une
fermeté illusoire, et la nécessité d'une
capitulation. Entrainés par cet évène
ment polonais, ils sont jetés contre la
réalité européenne, où l’un après l’autre
ils se briseront le front.
On peut dire la même chose de
la Tchéco-Slovaquie. En renforçant,
toutefois, les conclusions ainsi que les
prémisses le permettent. Car la Tchéco
slovaquie ne correspond même pas à
une survivance sentimentale. Elle pro
cède du désir hystérique des vainqueurs
de dépecer les vaincus, et s’est créée
avec la complicité d’un certain nombre
de sujets de l’ancienne monarchie dua
liste, qui ne cachaient pas leur joie de
passer au moment de la défaite, du camp
de ces vaincus de qui le sort n'était
enviable à aucun point de vue, dans celui
de ces vainqueurs de qui la puissance
semblait être un page de tranquillité.
Cette double crise permit à l’Etat nou
veau de réunir dans ses frontières des
populations de toutes les espèces, de
toutes les races, et dont aucun lien logi
que ou historique n’excusait la réunion
sous une même enseigne. Quelques
millions de Tchèques, quelques centai
nes de mille Slovaques, et une majorité
d’Allemands, de Ruthènes, de Polonais
et de Hongrois forment ainsi un vaste
cirque de rivalités et de haines où
l’Europe contractera bien des crises et
trouvera bien des déboires. La Tchéco
slovaquie apparaît comme le type le plus
achevé de l'évènement politique, tourné
tout entier et âprement contre la réalité.
Elle aura, selon toutes vraisemblances,
le sort de ces vastes empires dont les
historiens nous rapportent, avec le nom
le récit d’une existence souffreteuse, et
dont l’histoire n’a rien retenu, — parce
qu’aucune parcelle de la civilisation n'a
trouvé chez eux sa naissance et qu’ils
ne sont responsables d'aucune acqui
sition positive dans le domaine de la
culture ou de la sagesse. Il n’existe pas
de Tcheco-Slovaquie, — réellement,
“réalistement,,. Mais dans l’illusion d'en
créer, une et l’espoir d’arriver à leurs
fins actuelles, quelques Etats sans vrais
gouvernements, ou plutôt quelques
gouvernements sans lucidité, sans pro
gramme, ont adopté l’évènement Tché
co-Slovaquie et se laissent follement
guider par lui.
Il n'est cependant pas difficile de se
rendre compte dans l’Europe d'aujourd’
hui, de la force — et l’aspect — d'un
Etat, d'une nation qui existe en réalité,
— même contre l’avis des maîtres du
monde et le cours des évènements. Et
nul besoin n'est de remonter au traité
de Vienne pour en avoir des exemples.
Il suffît de voir l’Irlande. Ce n’est pas
seulement par la liberté d’esprit de ses
poètes ou par les protestations de ses
députés que l’Irlande a, durant des
siècles, prouvé la réalité de son exi
stence. Celle-ci a éclaté, éclate de toutes
parts, dans toutes les manifestations de
la vie publique et jusque dans l’atmos
phère dans laquelle son peuple apprend
à penser et à sentir et cherche la force
d’affirmer les droits essentiels de son
indépendance. Si un mouvement comme
le Sinn-Fein n'avait été qu’une attitude,