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Il n’y a pas de milieu. Ou la peinture n’est qu’imitation, et alors
elle ne présente ni plus ni moins d’intérêt que la décalcomanie, ou elle
est création, et alors les thèmes qu’elle emprunte ne sont que des pré
textes, lui fournissant des éléments dont il lui est loisible de se servir
à sa guise et en n’ayant en vue que ses fins propres.
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Un peintre qui, pour réaliser un paysage.se contente de copier ser
vilement le coin de nature qu’il a devant lui — ainsi que pourrait le
faire un appareil photographique — accomplit une besogne aussi
ridicule qu’un musicien qui,voulant composer une symphonie sur un
motif quelconque — la tempête, par exemple — placerait un phono
graphe au milieu des éléments furieux, et lui ayant fait enregistrer le
hurlement du vent, le bruissement des feuillages, le ruissellement de
la pluie, imiterait dans son oeuvre ces bruits divers et simultanés de la
façon la plus exacte possible.
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En manière de réaction contre la peinture uniquement figurative,
qui se contentait de restituer fidèlement un paysage, une nature-morte
ou une figure, et dont la puissance évocatrice était par le fait même
strictement limitée, certains peintres préconisent une méthode qui,
pour être à l’antipode de l’ancienne, n’en est pas moins tout aussi dan
gereuse. En soumettant au spectateur des peintures d’une abstraction
absolue, ils prétendent éviter soigneusement de lui imposer des im
pressions nettement déterminées d'avance, pas plus qu’ils ne veulent
lui suggérer leurs propres émotions. Le spectateur, disent-ils, ne doit
pas être un parasite des états-d’âme de l’artiste. Il faut qu’il conserve
sa pleine indépendance et qu’il soit libre de puiser en une peinture
tels sentiments et telles évocations qu’il lui plaît d’y reconnaître.
Ces peintres perdent de vue qu’ils ne confèrent ainsi à leurs toiles
qu’une valeur toute relative, puisqu’elle dépendra de la capacité
d’émotion, de la vivacité d’imagination, du degré de sensibilité du
spectateur. De la sorte, leurs oeuvres se réduisent à n’être que de
simples indications. Ils agissent comme un romancier qui, au lieu
d'écrire son récit, se bornerait à en établir le canevas et l'offrirait à
son public en lui disant : “Voici des données suffisantes à de multi
ples et intenses émotions, Utilisez-les selon vos moyens,,.
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Dans un quotidien, une dame exprimait récemment ses doléances
au sujet d’une exposition moderne. Je cite textuellement: “Ne trouvez
“-vous pas, Monsieur, que ces “artistes,, devraient avoir au moins la