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d’une pièce qu’ils détestaient autant que faisaient les autres
spectateurs, leurs compatriotes.
A Paris ce fut de l’indifférence, sauf de la part des
poètes qui furent vivement frappés par ce tragique si nou
veau ; c’est que les poètes ont toujours plus ou moins tenté
de tuer leur père ; mais c’est une chose bien difficile,
témoin le Playboy, et voyant la salle le jour de la géné
rale, je me disais : « Trop de pères, pas assez de fils (1) ».
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Après l’échec du Baladin et le scandale de la représen
tation, Synge, gravement malade, entra à l’hôpital privé
Elpis, à Dublin. C’est là qu’il écrivit Deirdre 0/ the sorrows.
sa dernière pièce, c’est là qu’il allait mourir le 24 mars
1909.
Le soir entre doucement. Quelqu’un marche dans le cou
loir. Lorsque la maison s’endort le vent berce le jardin eri
l’abandonne. Un chien aboie ; chaque chose est à sa place :
il n’y a plus qu’à se taire et à dormir. Demain le soleil
ouvrira les fenêtres.
La veille de sa mort il détruisit des lettres, brûla des
poèmes. Il exprima le désir d’être porté dans une Chambre
ensoleillée. « C’est une jolie chambre, dit-il, et déjà je me
sens mieux : maintenant je vais apercevoir les montagnes
de Dublin ». Le jour suivant, à cinq heures du matin, il
dit à l’infirmière : « Est-il bien utile de continuer à lut
ter ? » et, se tournant du côté du mur, il rendit l’âme.
PHILIPPE SOUPAULT.
(1) Guiilliaiume Apollinaire : Les Soirées de Paris (janvier
1914).