LETTRES
de JACQUES VACHÉ
A MONSIEUR A. B.
X. le 5 juillet.
Cher Ami,
J’ai disparu de la circulation nantaise brusquement et
m’en excuse — Mais M. le Ministre de la Guerre (com
me ils disent) a trouvé indispensable ma présence au
front dans un délai très bref... et j’ai dû m’exécuter.
Je suis attaché en qualité d’interprète aux troupes
britanniques — Situation assez acceptable en ce temps
de guerre, étant traité comme officier — cheval, baga
ges variés et ordonnance — Je commence à sentir le Bri
tannique (lia laque, le thé et le tabac blond).
Mais tout de même, tout de même quelle vie ! Je n’ai
(naturellement) personne à qui parler, pas de livres à
lire et pas le temps de peindre — En somme redouta
blement isolé — I ©ay, Mr. the Interpréter — Will you...
Pardon, la route pour? Hâve a cigare, sir? Train de
ravitaillement, habitants, maire et. billet de logement
— Un obus qui affirme et de la pluie, la pluie, la pluie
— pluie —de la pluie — de la pluie — deux cents ca
mions automobiles à la file, à la file — à la file.
En total, je suis repris du redoutable ennui (voir plus
haut) des choses sans aucun, intérêt. — Pour m’amuser
— J’imagine — Les anglais sont en réalité des alle
mands, et suis au front avec eux... et pour eux — Je
fume à coup sûr un peu de « touffiane », cet officier
« au service de Sa Majesté » va se transformer en an-
drogyne ailé et danser la danse du vampire — en bavant
du thé-au-lait — Et puis je vais me réveiller dans un
lit connu et je vais aller décharger des bateaux...
Oh ! assez — assez ! et même trop — un complet noir,
un pantalon à pli, des vernis corrects. Paris — étoffes