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HISTOIRE DE VOIR
Les années passent, les boutiques ont des rideaux de mousseline.
L’hystérie est accroupie sur ses talons, serrant dans ses mains une
vipère en bois ; une bague est accrochée à la queue et dans le nez de
ce petit serpent est incrusté un diamant ; dans ce diamant on peut
voir, en le mettant tout près de son œil, une femme .agenouillée, elle
parle et nous dit : « Demain sera moins beau qu’un secret, moins beau
qu’un mauvais conseil, demain est un promontoire de pierres, de
feuilles mortes, de flaques d’eau où la mélancolie à pas lents et sans
lumière, sans chaleur et sans couleur, veut bleuir les fenêtres des
sentiments chrétiens. »
Mon cœur aboie et bat, mon sang est un chemin de fer sans gare
qui mène à Barcelone. Mon corps est un bocal d’excellent opium qui
sert à charmer mes loisirs.
Paris est plus grand que Picabia mais Picabia est la capitale de
Paris ; Breton est un grand fleuve de tabac turc et la mer se jette dans
ce fleuve pour monter vers l’Infini.
Duchamp fait des grimaces dans les glaces du Pôle Sud comme si
nous étions là ! Marcel, il faut teindre les icebergs en bleu, rose, vert,
rouge, puis les couvrir de salive ; Gabrielle Buffet fera du ski sur leurs
pentes multicolores en rêvant à sa correspondance du boulevard et
dans le monde entier les grooms seront déguisés en magistrats.
Il est plus facile de nager dans l’eau sale que dans l’eau propre ;
l’eau sale est plus lourde, dans l’eau' de cuisine inutile de savoir
nager ; les vieillards y clapotent avec bonheur et tous les crétins y
font la planche. Canudo est chef baigneur des Eaux-Grasses ! Gonza-
gue-Frick y enfonce sa tête pour savoir si vraiment c’est écrit en bon
français ; nous, nous nageons dans le merveilleux cristal des sources
de l’horizon.
Entre ma tête et ma main, il y a toujours la figure de la mort.
Francis Picabia.
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