no JEAN EPSTEIN
et lui échappait. Cet accroissement de la vitesse mentale avec la civili
sation est une des plus importantes et des plus évidentes lois de l’évolution
de l’intelligence ; et, corollairement, il entraîne de toute nécessité une
accélération du temps psychologique qui paraît s’écouler (ou s’écoule,
ici c est tout un) plus rapidement, comme dans les illusions oniriques.
Cette accélération du temps psychologique, encore peu connue et mal
analysée, n’est certes pas sans importance dans la vie intellectuelle de
l’homme. Ce n’est donc pas sans fondement légitime que le populaire dit:
Aujourd’hui la vie va plus vite. La vie ? c’est nous qui vivons plus vite.
Le temps psychologique ainsi entendu, confirme qu’on peut avoir
notion de lui, comme je disais plus haut, en dehors du rythme des phéno
mènes, par leurs modifications.
Outre ce temps psychologique, il y a le temps mathématique. Celui-
ci est, dit-on, relatif. Pas plus relatif assurément que l’autre. Surtout il
n’existe pas, sinon qu’en convention, comme une mesure, un système de
situation et de repère. Il n’est pas concevable en dehors des phénomènes
dont il est un aspect, une perspective. Si toutes les montres s’arrêtaient une
nuit sans lune et sans étoiles, sous un ciel de nuages, ce temps ne serait
plus. La quatrième après trois dimensions, non moins supposée que ces
trois autres, sans elles, ne vaut rien. Et si au lieu de considérer l’enlè
vement de la fille de Tyndare, Lucrèce eût, à une époque plus rapide,
parlé de l’accident des Batignolles, par exemple, il n’aurait pas eu l’idée
de l’appeler simplement : un événement de la matière et de l’étendue, mais
plutôt de la matière, de l’étendue et du temps (temps mathématique). Une
telle expression, très ingénieuse, n’est pas néanmoins plus que géogra
phique et descriptive. Le temps n’y donne qu’un supplément de relief
apparent. Mais que dans le champ du stéréoscope s’introduise une
mouche, adieu aux profondes ordonnances ! Et que dans le champ
du temps apparaisse une comète inattendue, toutes les chronologies, tous
les synoptiques, et même les horaires des chemins de fer pourraient être
à refaire.
Alors qu’aucune variété, aucun nombre de catégories ne sont illimités,
que l’homéomérie même d’Anaxagore souffre une fin, que les combinai-