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116 BLAISE OENDRARS
Il ouvrit les yeux, regarda dehors. Une aube anémiée suintait
dans les flaques d’eau.
Il laissa retomber le store, ennuyé.
Il ferma les yeux.
Un chat courait entre ses paupières comme au bord d’une gout
tière,
Il les rouvrit.
Oui, c’était bien un chat, sur la maison voisine. Il l’entrevoyait
par la fente des rideaux. Quelle émotion. Il avait cru à une halluci
nation, là, tout à coup.
Derrière le paravent, on bougeait. Ses gens s’habillaient. Des
chaises étaient poussées. De la vaisselle remuée. Il y eut des cris à la
cuisine, le samovar n’était pas prêt. De la boutique, des cliquetis de
mécaniques venaient. Les apprentis tiraient les chaînes des coucous,
remontaient les horloges. C’était comme un bruit d’ailes, des grasseille-
ments, des roucoulements. La vie des minutes tictaquait. La voix des
pendules s’essayait, vocalisait, comme pour un exercice, comme pour
se désenrouer. Coquerico, une cloche tinta. La porte s’ouvrit. Le temps
venait de faire son entrée, avec une botte fraîche, une nouvelle provi
sion d’heures et de journées, une marchandise qu’il étalait reluisante
dans les vitrines. Un acheteur se choisit une petite montre d’argent,
compte-goutte de servitude, qu’il emportait, précieusement enveloppée
dans un papier de soie, au fond de son gousset, au rendez-vous.
Il se retourna. Il s’absorba dans la contemplation d’un petit poisson
rouge qui nageait dans un bocal posé sur la tablette de la fenêtre...
Tout le monde était sorti. Il se leva, s’habilla lentement. Dans la
chambre, régnait le même désordre que la veille, à son arrivée; la même
odeur rance flottait entre les murs. Il ouvrit le guichet de la fenêtre.
Puis en buvant du thé, il nota dans son Journal :
« Un poisson rouge tourne, infiniment et solitaire, dans un bocal
de verre. Je suis cet étrange poisson aux yeux de porcelaine. Je tourne,
solitaire, dans l’eau glacée de mon hypocrisie : ce jeu perpétuel déroute,
on se retire désappointé. — Je souris à l’abri de mon indifférence,