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BLAISE CENDRARS
penché, dans l’ombre, le cliquetis d’une brisure, le brusque éclat d’une
mi-cassure, l’avait blessé comme un sourire et il était tombé, lourdement,
à genoux. Puis, avec un mauvais frisson, il avait allumé une pauvre
petite chandelle d’un copek, et durant la lente agonie de la mèche,
dans sa vacillante lumière il avait contemplé sous la camaille d’or
une tête de femme. D’un capuchon noir, un blanc serre-tête sortait et
dessinait, d’une ligne tranchante, le contour net du visage maigre,
défait, aux os saillants, aux joues creuses. Cette face était jaune, mais
d’un jaune safran, d’un jaune fou, désordonné, avec des transparences
de cauchemar. Et dans ce jaune, comme un trou, une large bouche,
violette, et, fortement sourcillés de kohol, deux grands yeux démesurés,
irréels, fixes. L’accord était étrange entre ces yeux miroitant d’orfroi,
aigus comme des cristaux et ces lèvres contournées, cruelles, violettes,
molles, brûlantes autant que des tronçons de serpent. C’était une face
d’incertitude et d’effroi : l’Epouvante. Quel moine halluciné l’avait
conçue cette Mère Céleste, car c’était bien une Mère de Dieu, mais
celle qui a assisté à la torture de son fils et qui ne peut oublier cette
vision d’agonie. Elle se dresse, immense, au haut du Calvaire ; en cadre,
en élevant les bras, de son lourd manteau noir, le supplicié, et les ténè
bres ardentes s’abattent sur le monde. Ce n’est plus le sang de la Croix,
c’est le sang des menstrues qui descend du Golgotha, raidit ses robes
et coule en larges fleuves dans les plaines. La malaria s’élève, les fièvres
s’allument, les névroses flamboient. Toutes les hallucinations et toutes
les hérésies s’illuminent à son regard meurtri et ses deux yeux de deuil,
comme des soleils rongés de crépuscules, ne descendent plus de l’horizon
des temps. De ses lèvres, quand elle les entr’ouvre pour répondre aux
brûlantes litanies des humains, tombent, ancolies, ténébreuses, mandra
gores, les luxures, les poisons et les opiums.
Brusquement, le cierge ne brûlait plus. Les yeux de la madone
s’éteignaient avec un cri sauvage, ses lèvres empestées saignaient comme
un regard, et il restait là, désorienté, dans les ténèbres. La dalle, sur
laquelle il était agenouillé s’ouvrait comme une trappe. Il entendait dans
les souterrains le silence des tombeaux. Un lys pâle sourdait jusqu’à la