Volltext: Les feuilles libres (4(1922), avril-mai = No. 26)

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BLAISE CENDRARS 
penché, dans l’ombre, le cliquetis d’une brisure, le brusque éclat d’une 
mi-cassure, l’avait blessé comme un sourire et il était tombé, lourdement, 
à genoux. Puis, avec un mauvais frisson, il avait allumé une pauvre 
petite chandelle d’un copek, et durant la lente agonie de la mèche, 
dans sa vacillante lumière il avait contemplé sous la camaille d’or 
une tête de femme. D’un capuchon noir, un blanc serre-tête sortait et 
dessinait, d’une ligne tranchante, le contour net du visage maigre, 
défait, aux os saillants, aux joues creuses. Cette face était jaune, mais 
d’un jaune safran, d’un jaune fou, désordonné, avec des transparences 
de cauchemar. Et dans ce jaune, comme un trou, une large bouche, 
violette, et, fortement sourcillés de kohol, deux grands yeux démesurés, 
irréels, fixes. L’accord était étrange entre ces yeux miroitant d’orfroi, 
aigus comme des cristaux et ces lèvres contournées, cruelles, violettes, 
molles, brûlantes autant que des tronçons de serpent. C’était une face 
d’incertitude et d’effroi : l’Epouvante. Quel moine halluciné l’avait 
conçue cette Mère Céleste, car c’était bien une Mère de Dieu, mais 
celle qui a assisté à la torture de son fils et qui ne peut oublier cette 
vision d’agonie. Elle se dresse, immense, au haut du Calvaire ; en cadre, 
en élevant les bras, de son lourd manteau noir, le supplicié, et les ténè 
bres ardentes s’abattent sur le monde. Ce n’est plus le sang de la Croix, 
c’est le sang des menstrues qui descend du Golgotha, raidit ses robes 
et coule en larges fleuves dans les plaines. La malaria s’élève, les fièvres 
s’allument, les névroses flamboient. Toutes les hallucinations et toutes 
les hérésies s’illuminent à son regard meurtri et ses deux yeux de deuil, 
comme des soleils rongés de crépuscules, ne descendent plus de l’horizon 
des temps. De ses lèvres, quand elle les entr’ouvre pour répondre aux 
brûlantes litanies des humains, tombent, ancolies, ténébreuses, mandra 
gores, les luxures, les poisons et les opiums. 
Brusquement, le cierge ne brûlait plus. Les yeux de la madone 
s’éteignaient avec un cri sauvage, ses lèvres empestées saignaient comme 
un regard, et il restait là, désorienté, dans les ténèbres. La dalle, sur 
laquelle il était agenouillé s’ouvrait comme une trappe. Il entendait dans 
les souterrains le silence des tombeaux. Un lys pâle sourdait jusqu’à la
	        
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