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JEAN COCTEAU
feuilles libres
PHOTOGRAPHIÉ
LETTRE OUVERTE à M. MAN RAY, photographe américain.
Mon cher Man Ray
Vous savez mon dégoût du moderne, dégoût partagé par notre ami
Tzara lequel représente, pour tant de naïfs, Le poète moderne, c'est-à-
dire la dernière mode. Ce dégoût du "moderne'', du “progrès” n'impli
que pas l'amour de l'éternel qui, hélas, me semble difficile à comprendre.
J’aime une œuvre qui me séduise à la minute, qui m'intrigue, qui me
débande les yeux. Les quatre vingts planches photographiques, véri
table album des Caprices, que vous m'avez fait l'honneur de m’apporter
un matin, présentent cet avantage que leur séduction s'impose à toute
personne digne de sentir. Je craignais, après Picasso, d'être privé de
spectacles. Je vous en dois un. Je dirais une joie exquise, si le public
connaissait le sens terrible de ce terme que les neurologues emploient
pour exprimer qu'une douleur, “la douleur exquise ”, est à sa limite
inconnue et qu'elle échappe à leur contrôle.
Je me refuse à croire aux formules imbéciles telles que : Le mieux
est l'ennemi du bien. Formule française par excellence. Traduire :
Si je place mes quatre francs pour en avoir cinq je risque de les perdre.
Cet adage augmente chez nous le prestige des ébauches. Je viens d'être
malade. Or on me soignait aux rayons X. Les rayons X, c’est le diable.
Ai-je entendu : “ Si j’étaié voué, je me bornerais a deux ééanceé. Puisque
voué obtenez un rééultat, pourquoi riéquer de Le compromettre? ''.
Je retourne à vos épreuves et je songe, malgré leur perfection, à
la perche qu'elles tendent, si on envisage demain, et à la chambre noire
que vous venez d’ouvrir sur des trésors, entre autres cinématographiques.
Depuis Picasso, je suivais curieusement, tristement des recherches