conscience débrayée. Su dangereux qu’il fût — car il faillit entraîner l’art vers
un nouvel académisme — le surréalisme administra au mal du siècle un efficace
contre-poison. Entraînant surtout des artistes étrangers : Chirico, Dali, Klee,
Max Ernst, Miro, mais aussu André Masson, Pierre Roy, Yves Tanguy, le
surréalisme ouvrait une dimension supplémentaire à laquelle la peinture, réduite
à la carte à jouer, ne semblait pas pouvoir prétendre.
Ce mouvement n’a pas même effleuré les peintres de la première génération,
ceux qui, au lendemain de la guerre, ayant vingt ans, ne songeaient qu’à peindre
leur plaisir de peindre et de vivre. C’est le cas de Legueult, de Brianchon, de
Cavaillès, ces tendres chercheurs d’harmonies qui, nés sous le signe de Matisse
et de Bonnard, chantent les jardins, les danseuses, les fenêtres ouvertes sur la mer,
les rideaux de dentelle, humanisant les beaux prétextes à peindre. C’est le cas de
Walch, ce Chagall français. Le surréalisme a laissé indifférents ceux qui, dans le
paysage ou la nature morte, maintiennent la tradition française, avant eux illustrée
par Suzanne Valadon et Segonzac, tel Planson capable de peindre les jeux des
canotters chers aux impressionnistes et le repos des nymphes, tels Desnoyer, Chastel,
Caillard, Sabouraud, Fages, Charlemagne, ces inventeurs de beaux accents. C’est
le cas de ceux qui recherchent avant tout la composition comme Chapelain-Midy
et Aujame; d’un peintre comme Limouse qui, s’étant régalé de beaux morceaux
de peinture, peut orchestrer, demain, de nouvelles noces dans le décor de Delacroix ;
de ceux-là même qui, comme Roland Oudot, confient à leurs héros la besogne des
paysans de Louis Le Nain ou, comme Poncelet, traduisent par la couleur la
naturelle noblesse des gitanes ou le bariolage des forains.
Les autres, ceux de la seconde génération, ont appris la peinture dans le
caravansérail de Montparnasse, où les académies grouillaient sur le cadavre de
l’Ecole, où les ferments de l’Ecole de Paris faisaient bouillonner l’inquiétude,
où l’aguotage confondait trop souvent les valeurs. Ils ont compris que le malheur
mordaut à nos greniers trop pleins. Ils se sont gavés de désastres. Pour un peu,
surenchérissant sur leurs aînés qui mettaient des moustaches à la Joconde, ils
auratent mis le feu au Louvre. Des hommes à moitié squelettes s’enlisatent auprès
de charrues frénétiques. Dans des espaces où Dieu lui-même se serait perdu, ils
proposaient un univers où il n’y avait pour les humains aucune maison à louer.
Mais les voici devant vous, remontant des profondeurs, blanchis comme des
apôtres. Ils n’ont pas à payer, eux, d’hypothèques esthétiques ni sentimentales.
Le sujet ne leur faut pas peur. L’homme revient. Rassurez-vous : il n’a pas perdu
l’habitude de souffrir. On a baptisé « Forces Nouvelles » la forte équipe où l’on
nomme Robert Humblot, Georges Rohner, Henri Jannot et qui s’incline devant
Jean Lasne «disparu ». Les critiques d’art metient aux peintres des étiquettes
comme aux roses les jardiniers. Passe encore pour Forces Nouvelles, mais qu’on
leur laisse la paix, demandent-ils avec Roger de La Fresnaye. Ces peintres
s’imposent la seule discipline qui puisse ramener la peinture française à son idéal
de logique et de construction: l’exemple des maîtres de la Réalité. Louis Le
Nain, Georges Dumesnil de la Tour, eux-mêmes continuateurs des peintres
du cœur sacré Nicolas Froment, Bourdichon, Perréal, Jean Fouquet.
Non loin d’eux groupés par Jacques Bazaine, d’autres peintres sauvent la
peinture française des dangers de la nuance, les uns par la violence, les autres
par la douceur: Pignon, Estève, Bazaine, Le Molt. Lautree, Claude Venard,
comme les pionniers des Forces Nouvelles, sont dominés par une volonté de
pureté qu’exprime leur nette peinture.
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