LES MAITRES POPULAIRES DE LA RÉALITÉ
MAURICE UTRILLO
MAURICE UTRILLO est né à Montmartre, le 26 mars 1883. II était le fils nature! de
Suzanne Valadon, alors âgée de 16 ans, et d'un certain Boissy. S’il ne devait être reconnu
ni par son père, ni par l’honorable Paul Mousis, qu’après les orages de sa vie de modèle
avait épousé Suzanne Valadon, il tient son nom d’un espagnol, Miguel Utrillo, qui, par
galanterie, le reconnut, le 8 avril 1891. Dès l’âge de 10 ans Maurice Utrillo, qu’on à mis
demi-pensionnaire au collège Rollin (ses parents habitent Montmagny), s’adonne à la
boisson. Quand il a seize ans, on tente de faire de lui un employé de banque. Deux ans
plus tard, on doit l’interner à Sainte-Anne. C’est alors que les médecins recommandent la
peinture comme dérivatif à son vice. Maurice Utrillo est bientôt pris au piège de ces devoirs
de vacances qui sont devenus sa seule récréation. Dès 1905, apparaissent les toiles de
Montmagny très empâtées, dans un registre sombre et d’un désespoir absolu. Vers 1907
Utrillo est sollicité par l’impressionnisme, et certaine toile, comme Notre-Dame pavoisée,
fait songer à Monet. Bientôt il imagine de recourir à un mélange de plâtre et de colle qui va
lui permettre de maçonner les merveilleuses constructions de l’époque blanche (1909-
1914). Il peint alors ces murs interminables qui semblent se carier comme des dents mau-
vaises, ces perspectives infinies, qu’ouvrent dans les villages des rues où l’on donne à boire
à chaque porte. Ses chefs-d’œuvre sont ses cathédrales qu’il bâtit pour se faire pardonner
par Dieu ses péchés, ses églises romanes que bordent des arbres grelottants.
Dès 1909, Utrillo ne peint plus que d’après des cartes postales, et souvent à la tombée
du jour dans l’arrière-boutique d’un marchand de vins, où il troque une toile contre un
litre de vin noir. En 1913, il rapporte d’un voyage en Corse des toiles plus vives de couleurs.
Après un nouvel internement en 1916 (car Utrillo partage sa vie entre le poste de police,
l’asile et la maison de sa mère) ses toiles se font de plus en plus claires. Ni ses malheurs,
ni les exigences des marchands, qui prétendent le ramener à la manière blanche n’arrêtent
dans son essor cette exaltation. Il semble que son âme soit bariolée de joie. Sa matière
devient luisante comme de l’émail. Mais, dès 1928-1930, le miracle cesse d’opérer. Maurice
Utrillo, depuis, s’est marié. Il habite Le Vésinet. Sa femme fait dire dans les gazettes que
Maurice est devenu très sage.
L’étape est longue pour cet éternel prisonnier qui le conduit, de la période où il brosse
sur n’importe quel couvercle de boîte à cigarres, sur un méchant bout de papier, une vue
de Montmartre, à celle où, jalousement gardé par sa mère, il peint avec de beaux pinceaux
sur des toiles toutes neuves, comme les vieux font des patiences et les enfants des construc-
tions. Utrillo a toujours paru irresponsable du miracle qui, sous sa main, s’accomplit. Son
génie est sans doute ce Dieu qu’il prie avec ferveur chaque soir. un long chapelet entre les
doigts, et qui l'a si souvent exaucé
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