Son vieux père, sa sœur Juliette, viennent pour quelques jours
auprès de lui. Il exécute leur portrait. Il a beaucoup d’autres visites;
des étrangers curieux qui déposent leur obole dans une ancienne
boîte à cigares, viatique pour les malheureux; des proscrits, qu’il
invite au café du centre, où il s’attarde chaque soir. On peut y voir
aujourd’hui encore la petite table ronde, appelée la table de Courbet.
Dans la cave, étaient cachées des toiles, roulées dans des foudres vides.
Castagnary, Baudry, des compatriotes, lui apportent encourage-
ment et réconfort. Sa bonne amie Lydie, Mme Jolicler, se démène
pour le sauver.
Un jour, il a la surprise de reconnaître, dans son très modeste logis,
Madame la duchesse de Colonna de Castiglione, dont il avait fait le
portrait à Trouville, en 1866. Portrait, soi-dit en passant, signalé
comme appartenant au musée de Fribourg, où nous l’avons vainement
cherché. C’était une beauté; un corps et une grâce de déesse. D’origine
fribourgeoise, Adèle d’Affry, devint, en 1856, duchesse de Castiglione.
Elle s’adonnait à la sculpture, exposa sous le pseudonyme de Marcello.
Est-ce elle qui incita Courbet à sculpter ce buste altier de femme:
Helvetia ou la Liberté ? offert par l’artiste à la ville de la Tour-de-Peilz?
Il est entouré de peintres qui sollicitent ses avis et font des copies . . .
Il n’a plus de goût pour rien. Il souffre chaque jour davantage et le
fisc français inexorable le harcèle sans répit. Courbet, le grand Courbet,
si solide, si combatif, et rieur, n’est plus que l’ombre de lui-même.
De son lit, il peut encore regarder le lac. Il fouille des yeux les
cîmes bleuâtres dans le ciel qui blanchit, puis les abaisse vers l’eau.
Sa mètre lui apparaît soudain, comme dans un miroir, sur la surface
unie. A-t-il oublié qu’elle est morte pendant qu’il était en prison en
disant: «mon fils est malheureux». Il subit l’attendrissement de
cette vision. La chère image disparaît pour revenir, confuse à Flagey,
dans la maison de culture des Courbet. Il revoit sa chambre d’enfant
dont une fenêtre ouvre sur un petit bois. Puis c’est la roche Founèche,
ses vignes sous Charmont, ses près de l’Oie Pernot et de Chaseaux.
Il ne voit plus autre chose que les flots qui se pressent en plis serrés
vers le rivage.
Le père du peintre, octogénaire, semble se demander pourquoi
il y a une telle assemblée près de Bon-Por?, où son fils vient de mourir,
à l’âge de cinquante-huit ans. Depuis l’événement, il est là, isolé par
sa surdité, près du corps de Gustave, qu’il veut ramener à Ornans.
C’est par une claire journée, le jeudi 3 janvier 1878, que se font les
obsèques. Des proscrits sont venus de Lausanne, de Lucerne, de
Genève, de La Chaux-de-Fonds, de Fribourg, de Neuchâtel, le plus