Mesdames, Messieurs,
Vous ne pouvez imaginer quelle fut ma joie lorsque M. Wartmann,
directeur du Musée des Beaux-Arts de la ville de Zurich, me dit ses
projets pour cette fin d’automne. C’était aller au devant d’un désir
dont je souhaitais depuis longtemps la réalisation. Il y a trente ans
que je suis animé d’une passion. Elle me vaut, cette passion, l’honneur
de parler aujourd’hui devant vous.
On ne s’improvise pas historien. Une longue préparation est néces-
saite, si l’on se mêle d’écrire sur un homme, un grand homme, dont
la vie fut très mouvementée, et comporte comme toute existence des
points obscurs. Courbet toutefois a facilité notre tâche, souvent. car
il semble n’avoir eu de secrets pour personne; sa maison, son atelier,
étaient ouverts à tous, Il a quasi vécu sur la place publique, fréquentait
assidûment les brasseries, aimait la joyeuse compagnie, les acclama-
tions, et, quand celles-ci faisaient défaut, s’acclamait lui-même. Bon
géant, grand enfant, exubérant, enthousiaste, convaincu tôt qu’il était
le premier peintre de son temps. Ajoutez à cela une indépendance que
d’aucuns trouveront excessive, et qui lui attira des inimitiés. Ses
qualités natives de force, de volonté, de ténacité furent à l’épreuve,
cat sa vie durant il dut mener vaillamment le combat. Refus réitérés
aux Salons, attaques innombrables dans les journaux, comme il ne
s’en était jamais produit à l’égard d’un peintre, et pour finir, en laideur,
l’exclusion des expositions décidée par l’ensemble des peintres, ses
confrères, en 1872. et le décri.
Il succomba prématurément dans une aventure politique, après
s’être assuré sur un autre terrain, en maintes rencontres, des victoires
manifestes, âprement gagnées, devenues pour la postérité ses lettres
de noblesse, ses titres de gloire.
Il a ouvert la route, il a montré le chemin.
Des partisans, des amis, il en eut jusque dans le malheur. Des
écrivains, comme Max Buchon, son compatriote, Théophile Silvestre
et Champfleury, ces deux-ci, avec restriction, Bürger-Thoré, surtout
Castagnarv et Duret, ses contemporains, reconnurent sa maîtrise, et