130 ÇA IRA ! des vacarmes, s’engouffre dans les salles nocturnes où gigotent, sur un morceau de toile, des personnages muets, à moins qu'il ne perde son temps à avaler un liquide visqueux, excitant, qu’est la bière. A mes côtés il paraît un pygmée et ses voisins aussi, tant cette race a perdu en force et en beauté. Un poids de cinq livres l'étrangle. Une souris lui occa sionne de telles démangeaisons aux orteils, qu'il saute comme un kanguroo, et m'assure qu'il adore le tango. Il dispute de politique sotte, où les vocables socia lisme, internationalisme, bolchévisme indiquent — dit-il ■— des tendances modernes de la pensée humaine. (Bol chévisme ? Cela consiste à ne pas tra vailler et à voler les autres. Socialisme ? Je ne me rappelle plus le sens de ce mot. Internationalisme ? L’art d’une femme que nul de ses amants ne soupçonne d’être une concubine universelle.) Ah ! mon cher eunuque, je regrette le sérail d’Isqahan, où Zachi, aux seins roses, et Zélis, aux doigts embaumés, prodiguent des caresses laseives et des paroles onc tueuses comme de la mélasse. Quand je pense à leur amour, à leur passion, à leur hystérie, je suis mélancolique comme Edgard Poe. Dupatelin est malheureusement marié. Sa femme est stupide. Elle danse, matin et soir. Elle confectionne des robes qui sont des sacs à café. Elle n'est pas jolie, ce qui est une qualité. Maintenant, l’amour n’est plus une offrande mais une besogne physique... Madame Dupatelin est insupportable. Elle est grosse et s’en plaint avec une rage inconcevable. Son mari en pleurt. Il reproche à son épouse d’ignorer les moyens d’éviter les enfants, et se courrouce à l’idée qu'il sera, bien tôt, père pour la douzième fois. Une pareille honte ne s’est oncques vue. A peine, ajoute-t-il, sur l’air des lampions : Mein Vaterland musz groszersein ! (Ma patrie doit être plus petite). Il est intellectuel, j’entends qu’il est acoquiné avec des hommes barbus et vénérés, avec des femmes paresseuses et bavardes. Parfois, il les rassemble chez lui, et cette affluence constitue un “ cénacle „ , dont il est le directeur-pro priétaire. Là, les heures passent à griller des cigarettes, à roucouler selon des thèmes cacophoniques, à marteler une cage de bois d'où jaillissent des sons crispants, à médire du prochain, à con tester les mérites des œuvres actuelles, et à conter quelques historiettes dont la moralité est de se pervertir sans lassi tude. Ils éditent une gazette... Non ! mon cher eunuque, ces hommes ne sont pas des hommes. Ces femmes ne sont pas des femmes. Ce sont des pantins. J’ai souillé ma peau à la leur (Ne le raconte pas à Fatmé !) Ils célèbrent l'ordure et se vantent de leur vanité. Ce sont des machines. Sois béni. Soigne mes femmes avec zèle. Procure-leur tous les plaisirs qui sont innocents. Par le courrier prochain, je m'étendrai sur d’autres sensations. Celui-ci t’apporte encore des pralines pour Zachi, des jupons pour Roxane, un parapluie pour Zéphis, et de la poudre de riz (marque " premier aveu „) pour Zélis. Tu partageras entre leurs compagnes les kilos de nougat que je joins au colis. Le 6 de la lune de Zilhagé, 1920. Usbek. Willy KONINCKX.