ÇA IRA !
127
Fête japonaise
Nous accompagnons la reproduction
réduite de la lino de Jespers de cet intéres
sant commentaire de Paul Van Ostayen :
“ C'est une erreur de considérer “ Fête
japonaise comme étant sans objet. Elle
a naturellement son thème, son sujet. De
plus elle a aussi des objets représentés.
Mais l'objet à représenter est encore en
étroit rapport avec le thème.
Seulement il y a ceci : l'idée de l'objet
supplante l’apparition empirique. La
rigueur de la construction anéantit
l'arrangement du hasard. Le chemin qui
mène à l’idée passe par une ascension
de la plus haute sensualités La plus haute
ascension conduit à la vue de l'autrepôle.
C’est une œuvre orphique. Elle ne
procède cependant pas d'un orphisme à
priori qui crée les formes ou interprète
chaque apparition objective d’après
l’orphisme du sujet. Du moins pas exclu
sivement. C’est en somme une œuvre
très objective pour autant qu’elle
dépouille le caractère lyrique des objets
en eux-mêmes des compléments natura
listes. Elle exprime la nature transcen
dante, le lyrisme des objets. Elle prend
les objets comme point de départ et en
donne l’essence : le lyrisme. C’est en
cela que consiste l'objectivité de cette
œuvre.
Si l’on veut se rendre compte de cette
objectivité, il ne faut pas tâcher de
retrouver avant tout des objets dans
leur manifestation épisodique-acciden-
telle. Il faut se placer selon le concept
primitif que l’on a de ces objets, à peu
près de la manière suivante : que se
représente l’enfant, en fait d’objets,
lorsque les mots “ fête japonaise „ lui
résonnent à l’oreille ? Une apparition
changeante, mais où le motif revenant
sans cesse est : l'exotisme, la bizarrerie,
l’extrémisme des formes. Bien mieux
qu’une vision méthodique, l'enfant con
naît le caractère de ce thème. Il est
subjugué par la somptuosité de l’exo
tisme. Conquis par un lyrisme étranger.
Il cherche les formes les plus bizarres
pour projeter cette représentation.
L’enfant sait : là tout doit être complè
tement autre que dans le monde exté
rieur où il grandit. La notion lyrique ;
l'effort pour fixer cette notion et, avec
cet effort, la supplantation dynamique
des contours les uns par les autres ; la
succession mille fois répétée de formes
bizarres d’hommes, de plantes et d’ani
maux ; rien qu’une réminiscence de
l’essence des choses, de là difficulté à
saisir les objets dans leur apparence ;
par contre conservation continue du
caractère, de l’être véritable ; lyrisme
ascendant des formes, qui ne sont jamais
claires quant au contour, mais qui sont
toujours claires dans leur mouvement
lyrique, voilà “ Fête japonaise „.
On se rappelle : des milliers de pois
sons d’une bizarrerie extrême, la singu
lière silhouette de hérons ; plantes
enchantées, petites femmes japonaises,
tout cela mêlé : merveille de finesse, de
fragilité. Mille et une nuits au Japon.
Japonais : exotique et fin ; fête : ivresse
des formes entremêlées. Ainsi les formes
jouent sans jamais se lasser, formes qui
suggèrent d'autres formes: dynamisme. „