70 C’est là le contenu que je me plais à donner à l’idée de salut pour laquelle il ne devrait pas être d’excès d’honneurs et qui mérite mieux en tout cas que l’indignité où l’on est plus ou moins obligé de la tenir actuellement, à cause de son inconsistance idéologique, si l’on pousse l’indulgence jusqu’à ne pas juger l’arbre à ses fruits. Quoiqu’il en soit et pour revenir au vif du débat, je serais heureux que l’on m’ac corde que, par les lignes précédentes, j’ai placé le problème de la valeur de la pensée lyrique dans la lumière qu’il faut et sur le terrain le plus juste. Je ne me fais pas la moindre illusion au sujet de la réponse que j’apporte. Mieux que personne, j’ai été à même de m’apercevoir combien ma recherche fut limitée, son résultat peu décisif, son approximation lointaine. Au contraire, je pense avoir l’évidence pour moi en affirmant que si la pensée lyrique n’a pas l’intérêt de systématisation que j’attends 1 d’elle, elle n’en a aucun, aucun de valable, s’entend. Pour le rêve, le travail est plus qu’à moitié fait. En effet si l’on consent à considérer les mécanismes que les recherches psychanalytiques y ont, sinon décelés, du moins définis (condensation, surdétermination, transfert, etc...) comme les processus de systématisation affective de représentations qui, par suite des nécessités' de l’action, étaient d’abord apparues disparates, et il semble difficile de leur assigner quelque autre rôle, il est clair que les indications oniriques, encore qu’il y ait rêve et rêve, sont des moins négli geables et qu’elles constituent par ailleurs des documents particulièrement sûrs, élaborés qu’ils sont selon des procédés relativement autonomes. Il n’en est pas de même de la pensée lyrique dont les moyens d’obtention sont loin d’être au-dessus de toute suspicion et dont on n’a nulle raison de penser qu’elle répond à une nécessité première plutôt qu’à une paresse ou à une forfaiture. Cependant, il faut remarquer que l’exemple du rêve, phénomène dont j’ai tenu ci-dessus à rappeler le carac tère élémentaire et indépendant, montre que la nécessité d’esprit est capable d’identifier ou d’associer d’elle-même les représentations qu’il lui convient, en sorte qu’on se trouve amené à se demander si la fonction de pensée lyrique n est pas dans la vie éveillée de figurer semblablement tel élément quil faut quand exigence s'en fait sentir, c’est-à-dire quand de multiples représentations ont déjà surdéterminé son contenu, contenu de ce fait capable de remplir au mieux ce rôle idéogrammatique de systématisation qui lui préexistait et à quoi en dernière analyse son avènement est exclusivement dû. Ainsi plusieurs pierres irrégulières assemblées sans soin laissent entre elles un certain vide dont la forme est exactement dessinée de sorte que celle du bloc qui comblerait cet intervalle est à l’avance strictement déterminée, ce déterminisme du creux étant aussi rigoureux que tout autre. Pareillement, il semble qu’une accumulation de représentations convergentes prédétermine tout ou partie des conditions que devra remplir le contenu de celle dont elles ont besoin pour présenter une cohérence sans fissure. Il s’ensuit que cette dernière existe virtuellement, du fait de l’existence des précédentes, et qu’à la première et contingente sollicitation, pas sant de la puissance à l’acte, elle s’imposera à la conscience. Telles sont du moins les pensées qui me vinrent au cours de l’analyse d’un exemple récent d’associations non dirigées. Attendant mon train, mes yeux tombèrent sur une plaque de tôle marquant peut-être quelque bifurcation et portant un M peint en blanc. Je m’aperçus alors que cette lettre se trouve curieusement être l’initiale du prénom des trois seules femmes avec qui mes relations ont pris un caractère d’exceptionnelle gravité et du surnom que j’avais donné à l’une d’elles; ensuite, je pensais à l’épreuve de l’M ren versé dans la main (expression qui parut à mon attention très lâche porter en soi une évidence suffisante). Je songeais à une blessure en forme d’M sur laquelle du vinaigre était versé, supplice en rite initiatique, cependant que j’a\ais une assez nette image visuelle d’une main s’ouvrant et me montrant sur la paume un M qui, à cause de ses pointes tour nées vers les doigts, se présente comme un W. Sans m’arrêter à l’étrangeté de la vision, je laissais errer ma pensée et constatais que W et M étaient les initiales d’une dame à qui je venais le matin même d’envoyer un livre et que ces deux lettres entrelacées for maient le monogramme qui figure sur les chaises de la salle à manger de mes parents,