/ 86 Réflexions conduisant à préciser la signification antifasciste du surréalisme par PIERRE YOYOTTE I. — LES CONSEQUENCES PSYCHOLO GIQUES DU CAPITALISME DANS LES « CLASSES MOYENNES ». Pour rendre complètement justice au ca pitalisme, il est urgent, spécialement en France, je dirai pourquoi, d’insister, tout autant sur la misère économique que ce capitalisme produit, que sur la misère af fective, autre conséquence de ce régime qui doit être distinguée, tant dans son processus qu’en elle-même, de la première. Le capitalisme a reçu et maintenu la misère qui fût savamment entretenue et que lui a léguée le féodalisme chrétien, savoir la scission de l’affectivité humaine et l’anta gonisme exaspéré des désirs matériels égoïs tes (amour sexuel, instinct de suprématie, etc...) et des sentiments idéaux collectifs « amours » de horde (famille, patrie) ou amour évasif (religion, art). Là où le fi nancier succédait au noble, rien ne devait changer sur ce point. Partout où une mino rité a l’avantage pour la satisfaction de ses désirs, les sentiments sont chargés de mo dérer les désirs de la majorité des individus. Pas seulement de la majorité. Les avantages attachés à la situation d’oppresseur, noble, ecclésiastique ou bourgeois, ne se conser vent sous l’œil de la majorité opprimée, qui est la force, que par leur occultation rela tive, nécessitant un minimum de contrainte sur soi. L’hypocrisie, quelquefois consciente et le plus souvent simplement objective, at titude toujours humainement dégradante et pénible, s’impose donc au profiteur de la plus-value et la répression des désirs par les sentiments constitue dans la société ca pitaliste une forme générale et assez équi tablement répartie de misère affective. Toutefois, dans les hautes classes, la ri chesse donne tant de facilités aux désirs qu’ils passent -généralement outre aux sen timents et que le conflit s’atténue, pour ne laisser qu’une hypocrisie légère, presque consciente et formaliste. Par ailleurs, chez les prolétaires vraiment sans espoir d’échap per individuellement au sort de leur classe, il n’est pas besoin de sentiment, là où la misère économique suffit pour borner les désirs, et l’hypocrisie, comme l’avait re marqué Engels, tend à disparaître. C’est donc au sein des fameuses et infiniment actuelles classes moyennes que s’exercent principalement les ravages de l’antagonisme affectif entretenu par le capitalisme. Clas ses moyennes constituées par la presque to talité des français, exception faite d’une pe tite minorité en haut et en bas. Pour le pro létaire comme pour le grand capitaliste, la situation affective tend à n’être que le reflet de la situation économique, conformément à la lettre de l’enseignement de Marx. Mais au-dessous du grand capital, en deçà d’un seuil impossible à préciser universellement, jusque chez ceux qui ne se distinguent du pur prolétaire que par la possession ou seu lement l’espérance d’un « petit avoir », la misère du désir est presque toujours nota blement supérieure à la misère de l’argent. Dans la société capitaliste, le processus de l’élaboration de la misère du désir, en chaque individu, s’établit au moyen d’un instrument légué par le féodalisme chré tien, qui n’est autre que ce brillant usage caractéristique de la « civilisation » : l’é ducation familiale. Cet usage, commun à toutes les classes, tend à n’être que formel chez les très-riches, inopérant chez les très- misérables. Ce n’est que récemment qu’a été révélé par la psychanalyse le degré de raf finement auquel atteint la famille comme mécanisme d’oppression du désir. L’attrait du parent de sexe opposé, la concurrence du parent de même sexe, la vie commune favorisent d’abord chez l’enfant, à un très