88 révolution s’est déjà faite en deux grands pays d’Europe à la faveur d’aggravations locales et historiques de la misère affective. Voilà bien entendu où je voulais en venir: il s’agit du fascisme. II. — LE FASCISME. La misère affective culmine dans les clas ses moyennes par suite de la double pri vation du désir et du sentiment. Elle pro duit par refoulement sa propre ignorance : la presque totalité des individus moyens n’a pas conscience du processus. La double misère est ressentie violemment comme une privation générale et vague. Cet état s’exas père cï devient intolérable au cours de la mythique « après-guerre » alors* que préci sément l’argent faisait sentir son pouvoir par la diminution des traitements et gains et que d’autre part les célèbres sentiments étaient provoqués par la défaite militaire, par le complexe national d’infériorité, par les progrès du mouvement prolétarien. Il fallait en sortir par l’issue de la sa tisfaction. Or les satisfactions sentimen tales de borde et mystiques, bénéficient par rapport aux satisfactions matérielles de l’in contestable privilège du prestige acquis. Les victoires infantiles qu’elles ont remportées sur les désirs primaires, en annexant la violence initiale de ces derniers, leur prêtent, comme à l’état de guerre, une apparence paradisia que. Aussi se sont-elles montrées capables de cumuler par déplacement Vensemble des aspirations affectives de massives généra- tions (5). Telle fut la nouveauté du mus- solinisme, de l’hitlérisme. En fait il ne s’est agi de conquérir que des grimaces, pour oublier, sous les embrassades, les luttes d’argent; pour oublier, en les cachant com me aux chiottes, les nécessités d’aimer, de jouir :mais c’est vraiment de grimaces que vivent les sentiments et non de réalités. Ce que Mussolini et Hitler ont donné ou donneront en fait de satisfactions matériel les est et sera peu de chose : mais ce n’est pas tant de cela qu’il s’agissait. L’inégalité capitaliste n’esit pas réellement l’ennemi de l’exaltation hystérique des troupeaux en chemise, au contraire : le jeune fasciste s’excite à mépriser la vie commode et pem dant ce temps la vie commode du patron, de ses parasites et petits héritiers continue de flâner au grand jour. Mais si le fascisme n’est guère une révolu tion économique, le fait est que la révolu tion essentiellement sentimentale qu’il cons titue empêche une révolution économique que la situation matérielle des masses, tant petites-bourgeoises, paysannes, etc., que pro létariennes, c’est-à-dire de la majorité, sem blait rendre imminente! L’acquisition de biens sentimentaux fait prendre en patience vraiment étonnante aux masses allemandes, la non-réalisation des réformes économiques promises par Hitler. Quelles que soient les mesures prises par Mussolini « en faveur du peuple », il est public qu’il s’agit de bienfaits assez légers et incapables de justi fier matériellement la stabilité de son ré gime. Qu’on invoque le renforcement de la police, la terreur, la corruption, etc., pour expliquer la préparation et la solidité du fascisme, il ne faut pas oublier qu’il s’agit de procédés qui n’atteignent jamais qu’une minorité, et dont la réussite est à la dis crétion, en fin de compte, du bon vouloir de la niasse. Le fait nouveau est que, lors que les classes moyennes sont nombreuses et puissantes, ce bon vouloir repose autant sur la situation psychologique de la masse que sur sa situation économique. La nu trition affective existe et peut suppléer dans une mesure certainement sous-estimée, à la nutrition matérielle. Ce qui détermine le petit-bourgeois misérable à laisser le pa tron tranquille et à approuver les tueurs d’ouvriers quand il ne se mêle pas à eux (sans être payé), c’est une force opposée à la convoitise qui naît rationnellement de sa détresse matérielle, et par conséquent phénoménalement idéale. La grande révé lation et l’essentielle originalité du fascis me, c’est l’intervention des sentiments com me facteurs autonomes et d’importance con sidérable dans le domaine même de la po litique. Et ce qu’il faut avouer maintenant, c’est que la propagande communiste, uniquement fondée sur les enseignements marxistes, n’a nullement compris, dénoncé et combattu l’importance politique des sentiments col lectifs. Le marxisme n’attaque que la do mination de l’argent uie façon d’ailleurs