— 35 doit remarquer pour tel, au point qu’il convient de dire que les gens parlent et s’expriment contre ce langage — au lieu que ce soit par lui. Tel homme pratique estime* que l’humanité, dans son ensemble, est composée de canail les; il ajoute que chaque canaille est bonne à quelque chose, quand on sait la prendre. Or notre idée du signe relève» d’une sagesse de même ordre. Je veux qu’elle nous évite de lourdes déceptions: tout de même, trop défiante, soucieuse toujours d’imaginer le pire, elle néglige la première res source des mots, leur naïve ressource. * * * (Ces deux hommes qui se rencontrent, et disent : « Comment ça va ? — Ah, Sadoul a été condamné à mort », ou cette jeune femme à son ami: « On m’appelle qui ? — Georgette chère, Georgette en or — L’avare ! Pas plus ? », il faut admirer à quelle réalité leur langage du premier coup atteint. Où les œuvres littéraires, qui devraient prétendre à une réalité voisine, ou plus indépendante encore, cepen dant semblent hésitantes, et comme effacées, l’on insinuera que c’est pour avoir trop facilement accepté comme idéal cet état du langage le plus faible, où les mots à chaque moment font signe de nous manquer, et le seul dont tiennent compte les doctrines suivant lesquelles l’écrivain exprime les choses, ou s’exprime lui-même, la sincérité est sa vertu maîtresse et l’émotion son état de grâce, plus elle est intense, et, dit-on, personnelle quelques autres encore...) Jean PAULHAN.