184 MÉMOIRES D’UN DADA BESOGNEUX le mieux, c’est les feuilletons. Surtout les feuilletons qui paraissent en livraisons, parce que c’est plus long. Mon rêve, ce se rait un roman si long, si long, qu’il ne fini rait qu’à ma mort, qu’il y en aurait jusqu’à mon dernier jour. C’est ma vie, ma vraie vie, ça. Et je ne la connais, la vie, que de cette manière : je n’ai jamais pu sortir de cette chambre, je n’en sortirai jamais, je ne me marierai pas non plus, vous pensez bien... Alors j’aime à m’imaginer le bon heur qu’il y a dans les livres, et toutes ces belles choses que je ne connaîtrai jamais. Une demi-heure par jour, je ne suis pas Elise : je suis la jeune fille pauvre et mal heureuse, mais qui deviendra heureuse, qui entrera, à la fin, dans un monde de joie et de luxe, un monde extraordinaire et magni fique. Un monde où il y a des riches, un monde où je suis aimée par quelqu’un qui n’est pas de mon monde, qui est très beau, qui parle bien, qui a une automobile, qui m’emmène sur un navire à lui dans des