3 L’ŒUF DUR 11 d’ouvrir toutes les fenêtres. Et les persiennes de battre joyeu sement. Les passants lèvent la tête, s’arrêtent. Une foule s’amasse et soudain arrachée à la résignation de son chemin quotidien réclame à grands cris du nouveau. Régis traverse, le manteau sur la tête, l’appartement des glaces, mais il débouche sur le balcon, il se voit dans les deux yeux du peuple. Oh ! l’exclamation déchire la foule qui se donne à l’homme. Il brandit une chaîne qu’il brise ; la corporation des débar deurs mesure sa force en un clin d’œil. Dans l’émerveillement des autres, il se voit tel qu’il est devenu. Tous les regards se croisent en lui qui grésille et s’allume comme un lacet sous un verre où le soleil a ricoché. Oubliés les livres, sauf quelques maximes, le suc même de la terre, il coule dans ses veines. Régis est prêt à régner sur la nature humaine, antique forêt qu’il réduit au portique du gym nase et à ses multiples combinaisons. Il va bondir de branche en branche, d’agrès en agrès. La soumission est prompte. Un remous se creuse dans le peuple. LTne dalle se découvre où gisent deux cadavres : celui du geôlier qu’il leur a donné, celui de l’usurpateur qu’ils lui donnent. Puis les femmes impatientes grimpent sur ce degré pour le mieux regarder. Il se mire. Il voit son ventre plat comme un tambour, ses deux bras et ses deux jambes, longs et tressés, qui peuvent se développer en tous sens comme les membres multipliés d’un mythe. Et de tous ses organes, par un sens intérieur, il distingue la complexité. Il se voit jusqu’à ses épaules qui débordent à droite et à gauche. Il se voit sans visage. Où est sa tête ? Il n’en a plus. Mais il sait sa force et que déjà ce lien souple resserre les forces de cette foule qui plie. Il a oublié ce visage qui autrefois était pour lui toute son appa rence. Il l’opposait, autre miroir et plus trompeur, à un miroir. Ces jeux de glace étaient compliqués, vicieux, exténuants. A une illusion, il préfère aujourd’hui une autre illusion. Il ne sait pas s’il est beau ou laid. La beauté il ne la veut connaître que chez les autres. Il tient à bout de bras les plus belles formes, quand se contractent à son approche les femmes, la foule. « Qu’on brise tous les miroirs. »