9 L’ŒUF DUR 11 FRANCIS GÉRARD Lait d’amande Le Rhin est un petit ruisseau qui fera de grandes rivières. On se lasse de boire le fleuve avec un chalumeau : les noyés se mettent en travers. Le soir, les lampions sont au fond de l’eau et les poissons, gros papillons de nuit, viennent y brûler leurs écailles. On entend la musique des deux rives. Le hasard joint l’amant et l’épouse adultère sur le quai de la gare. Déjà on clouait le cercueil de leur amour : « Voulez-vous des pralines, bien-aimé, on les fait maintenant avec le cœur des passions mortes en un jour. Elles n’écorchent la bouche que des mauvais anges ». Et lui : « D’où vient ce bracelet vert comme le matin ? pour qui as-tu mis ta robe grenade et cette fleur ton sur ton ? » Ils ne s’aiment plus assez pour que ce mal les blesse ; la douleur tourne court, s’éteint, comme le sang se change en sirop au théâtre quand on allume. Sur cette détresse qui fit long feu, il sent qu’elle se dérobe. Pour la reprendre, il déroule le chapelet des tendres reproches : en fera-t-elle un collier qu’elle tournera sept fois dans sa bouche ? : « Dans une fête de nuit, vous m’avez dit : « Passez-moi votre cœur, je n’ai plus de rouge », je n’ai pas fait attention. Chez vous, votre mari me trouvait plus pâle. A table, je tournais le dos à la lumière. Tout le temps que je restai avec vous, Mathias me glissa chaque matin un billet sous la porte : « Au bout du fossé, la culbute ». Pressé de vous rejoindre, je regardais mal, confondant les mots, je lisais : « Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie ». Quand le jardinier eut cueilli toutes les roses, il aperçut les champs vides. Pareillement « Mane Thecel Phares » en lettres de feu dans notre petite chambre me semblait seulement être de la publicité lumineuse pour Dieu. Tout ce que je pensais du soleil le matin, des baisers, des par fums, des lianes qui serpentent, du jeu de l’ombre au creux de votre épaule, je vous l’ai donné, Annie, et me voilà pauvre et les mains maigres avec un goût triste dans la bouche. » Ces fourrures, qui ne sont pas pour elle, l’ennuient. « Allons, dit-elle, tremper nos mains dans le fleuve ». Ils se lavent des causes passées, se baptisent chacun d’un nouvel amour, mais