15 L’ŒUF DUR 11 Recommandations L’Homme Traqué, par Francis Carco (A. Michel). Dans ce roman, la bête en cage tourne en rond sur elle-même. Mais ici la bête ne représente pas le remords, car le remords porte en soi une compa raison lucide entre le bien et le mal. Lampieur est livré aux révoltes de son instinct de conservation. Dans son grand tourment, apparaît l’image déco rative du châtiment : la guillotine. C’est, dans l’œuvre de Carco, ce que j’aime. Ses personnages possèdent la culture morale qu’ils méritent. Ainsi ils deviennent véritablement des hommes d’exception. Carco a compris en poète la destinée curieuse de ces étranges personnages qui vont dans la vie comme des aveugles. Lampieur est un aveugle et la fille est également aveugle. Tous les deux, comme deux bêtes sans yeux, ruent dans la cage, lèvent la tête et se raccrochent déses pérément à leur instinct pour sentir les effluves du danger. Pierre Mac Orlan. Le Secret professionnel, par Jean Cocteau (Fels chez Stock). Les rubans, les guirlandes sont la sueur du coureur cycliste. Les roses naissent sous ses pas, mais il vise le but. Que dire d’un champion qui mettrait tout son effort à transpirer ? C’est pourtant trop souvent l’ambi tion des poètes : ils ne veulent pas tant vous déchirer le cœur, vous élever l’esprit, que le faire joliment ; c’est confondre autour avec alentour. Cocteau dénonce ces faux tireurs à l’arc qui ne sont que des acteurs déguisés. Les danseuses qui font des ronds de jambe pour traverser le Rubicon ne feront pas de bons empereurs. Sa discussion serrée, habile, touche le cœur noir de la cible. Mais de plus, il est doux de refaire le chemin derrière lui pour ramasser les roses qui émaillent sa route. Francis Gérard. Art Poétique, par Max Jacob (Emile-Paul). Si j’étais un grand critique sérieux... Mais encore, ces façons nouvelles 1... Max, qu’il faut admirer, qu’il faut aimer, qu’il faut croire, que veux-tu du vieux compagnon ? Un grand article sérieux, utile, ou un bouquet de poète ?... Quelle sottise 1 dira Max, de croire, quand on s’adresse à moi, que c’est toujours pour me souhaiter bonne fête ! L’Art Poétique de Max Jacob devait être écrit. Annoncé par les œuvres premières, il n’est pas le résumé de ces œuvres. Max n’écrira jamais rien de tel. Max qui « enseigne » ici, de la seule façon permise, donne encore beaucoup à lire entre les lignes. Ouvrons à nouveau ce grand livre du siècle : Défense de Tartufe. Il contient déjà Y Art Poétique. Le poète se dirige selon le gouvernement choisi par le mystique en marche vers un exact catholicisme. Ainsi devient-on classique sans que le classicisme soit postulat glacé. Mystique, mais prêt à recevoir le baptême, après quoi certains vaga bondages lui seraient défendus, Max Jacob écrit en son Tartufe : « Me permettra-t-on l’art qui... » ? Depuis, notre angélique ami, qu’on n’a pas vu se dépouiller, a su, et ce lui fut une manière d’enrichissement, se sou mettre aux minutieuses pratiques de la dévotion. Il se peut que ni les messieurs de Paris ni ces Messieurs de Saint-Benoist-sur-Loire ne voient en Y Art Poétique un manuel de conversion. Mais, quel merveilleuse mesure 1 Quel subtil (et franc 1) instrument de contrôle !... partant : quelle poésie ! André Salmon.