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L’ŒUF DUR
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FRANCIS GÉRARD
Lait d’amande
Le Rhin est un petit ruisseau qui fera de grandes rivières.
On se lasse de boire le fleuve avec un chalumeau : les noyés se
mettent en travers. Le soir, les lampions sont au fond de l’eau
et les poissons, gros papillons de nuit, viennent y brûler leurs
écailles. On entend la musique des deux rives.
Le hasard joint l’amant et l’épouse adultère sur le quai de la
gare. Déjà on clouait le cercueil de leur amour : « Voulez-vous
des pralines, bien-aimé, on les fait maintenant avec le cœur
des passions mortes en un jour. Elles n’écorchent la bouche
que des mauvais anges ». Et lui : « D’où vient ce bracelet vert
comme le matin ? pour qui as-tu mis ta robe grenade et cette
fleur ton sur ton ? » Ils ne s’aiment plus assez pour que ce mal
les blesse ; la douleur tourne court, s’éteint, comme le sang se
change en sirop au théâtre quand on allume.
Sur cette détresse qui fit long feu, il sent qu’elle se dérobe.
Pour la reprendre, il déroule le chapelet des tendres reproches :
en fera-t-elle un collier qu’elle tournera sept fois dans sa bouche ? :
« Dans une fête de nuit, vous m’avez dit : « Passez-moi votre
cœur, je n’ai plus de rouge », je n’ai pas fait attention. Chez
vous, votre mari me trouvait plus pâle. A table, je tournais le
dos à la lumière.
Tout le temps que je restai avec vous, Mathias me glissa chaque
matin un billet sous la porte : « Au bout du fossé, la culbute ».
Pressé de vous rejoindre, je regardais mal, confondant les mots,
je lisais : « Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie ». Quand
le jardinier eut cueilli toutes les roses, il aperçut les champs vides.
Pareillement « Mane Thecel Phares » en lettres de feu dans
notre petite chambre me semblait seulement être de la publicité
lumineuse pour Dieu.
Tout ce que je pensais du soleil le matin, des baisers, des par
fums, des lianes qui serpentent, du jeu de l’ombre au creux
de votre épaule, je vous l’ai donné, Annie, et me voilà pauvre
et les mains maigres avec un goût triste dans la bouche. »
Ces fourrures, qui ne sont pas pour elle, l’ennuient. « Allons,
dit-elle, tremper nos mains dans le fleuve ». Ils se lavent des
causes passées, se baptisent chacun d’un nouvel amour, mais