L’ŒUF DUR 6 8 i Là, ils rirent aux merveilleuses comédies de Chaplin. Trop, car aux drames qu’ils voyaient ensuite, ils ne purent s’empêcher d’être émus. Pierre, devant la Princesse violée, pensait à Rolande, Ghislaine à Philippe. Mais pour dissimuler son trouble, Pierre caressa Ghislaine de la jambe, des mains, des lèvres ; et Ghislaine, fermant les yeux, disait en elle-même : Philippe... Philippe... A la sortie, ils montèrent encore dans une Citroën. — Je vous accompagne chez vous ! avait proposé Pierre. Ghislaine ne pouvait nier que ce n’était pas Philippe. Elle en eut mal. très mal. Pour se consoler, elle se blottit toute contre Pierre : — Dites-moi que vous m’aimez. Pierre décida de demander Rolande en mariage. Ghislaine, indiciblement femme, avec le parfum et la pléni tude de son corps se colla contre Pierre. Il la sentait chaude, jolie, prête à pleurer. Il eut pitié, se reprocha de ne pas répondre à l’amour éperdu qu’il croyait en elle : — Je t’aime I Il la serrait contre lui, baisait ses cheveux, ses yeux, ses lèvres, lui tenait les mains, la caressait aux épaules, aux jambes, aux hanches. Ghislaine se désespérait. Quand la Citroën s’arrêta, elle implora : — Accompagnez-moi jusqu’à la porte de l’étage. Pierre ne résista pas. Ils montèrent. Elle ouvrit la porte, entra, hésitait. Pierre, par obéissance à de supposés désirs, attendait. Mais Ghislaine le repoussa. — Ce n’est pas à cause de ma mère. Mais j’aime trop Hé- rodiade, et ce soir au moins encore Je suis vierge et je veux Vivre parmi l’effroi que me font mes cheveux Pour la nuit... Pierre la pria d’interrompre. Il connaissait, et mourait de sommeil. La baisant une dernière fois aux lèvres, il murmura : au revoir, mon aimée ! et descendit. Ghislaine le regardait partir, penchée'sur la rampe, triste. Plus tard, dans sa chambre, elle se déshabilla, contempla devant le miroir les endroits de son corps où il l’avait touchée avec une subtile douceur.