L’ŒUF DUR 8 6 MATHIAS LÜBECK Alaciel Alaciel est grand et gros, le journalisme nourrit son homme. Il porte bien la toilette et beau avec une pointe de vulgarité : son monocle est le lieu géométrique de toutes les répétitions générales, son masque glabre et gras est d’un empereur romain, d’un cabot ou d’un valet de chambre, selon qu’on est son ami, son ennemi ou un simple passant. Il est chroniqueur mondain clans les journaux confidentiels, censeur indigné dans les magazines phalliques et, critique d'art à ses heures, il finira peut-être marchand de tableaux. Il a été refusé deux fois à la première partie du baccalauréat (latin-langues). D’où son aversion pour les cuistres. «Mon succès,dit-il (chezlui), vient des vigoureux coups depieds au cul que j’allonge libéralement à tous les jeanfoutres. » Car il affecte un parler truculent, voulant ainsi compenser par une grossièreté presque pas feinte, le manque de style et de syntaxe qu’on lui sait (il dit je mettai pour je mis, prend la Camargue pour la mort et croit qu’un inorion est un membre d’une secte polygame en Amérique). 11 botte le derrière des culs-de-jatte, gifle les manchots et a toujours le dernier mot avec les muets. Au reste, qu’il reçoive, comme dit le poète,quelque «nazarde au fondement » il la confondra volontiers avec une poignée de main. Un ami l’ayant comparé dans un périodique à Juvénal, il protesta qu’il ne vendait pas sa plume. Après consultation du petit Larousse, il a, très flatté, répété cette opinion sur les bandes de ses livres. Du reste, il ne se vend pas, mais l’argent le convainc. Brillant pamphlétaire et contempteur des mœurs actuelles, il fustige presque en toutes lettres les tarés de ce siècle : un chan teur comique qui n’a pas le temps de lire et un jeune poète risée de toute la ville. Sur le chapitre femmes, il est très étendu. « Toutes ont été à moi », dit-il. Cette présomption a manqué lui valoir un duel, ce dont il a été très fier, mais beaucoup plus tard.