L’ŒUF DUR 8 14 son père n’avait pas su éviter la déconfiture. J’ai grandi. Afin que je me distingue du troupeau des filles à marier, on m’a donné des professeurs qui n’étaient ni plus pédants ni plus ridicules que vous. Mon père me demandait s’ils étaient respectueux de moi. Ma mère déplorait que l’encre me gâtât les doigts. On a essayé de m’éveiller l’esprit et l’on a été étonné de voir qu’on y avait réussi. Les nouvelles façons d’accommoder les artichauts ne m’ont plus intéressée, ni les discours de mon confesseur. Je n’avais plus le choix : vomir ou chanter. J’ai préféré chanter. Je me suis détachée de mes parents. Mon père est mort sans que je le pleure. Ma sœur est une oie. Ma mère est bien bonne. Je suis bien habillée, parce que mon père avait, gagné beaucoup d’argent dans les cuirs. Je ne fais rien. Je suis un beau parti bourgeois : aussi j’aime les socialistes et tous les braves gens qui ne croient pas en Dieu. J’ai eu le courage de lire leurs bouquins ; ils auraient beaucoup de bon, s’ils n’essayaient pas d’être raisonnables. Pour moi, je suis logique. Je veux tout démolir ; mais à quoi bon remplacer ; ce qui existe ne peut pas être bien ». — « Parlez-vous sérieusement, dit Marcel ? — Certes, répondit Anna : il n’y a qu’un plaisir humain : démolir. — Oui, approuva Marcel avec complaisance. — Vous mentez, inter rompit Anna : Il faut bien, puisque nous nous aimons. — L’amour, dit bravement Marcel, nous donne la force d’être faibles » Anna éclata de rire, secoua la main de Marcel en criant : — « Mais oui, Marcel, mais oui, nous nous aimons. — Voilà, conclut Marcel, c’est tout simple. » Marcel parti, M me Walter vint rejoindre Anna. — « Ma fille, commença-t-elle, j’ai à te parler. — J’écoute, répondit Anna, en coupant les feuillets d’un roman. — Tu vas te marier, poursuivit M me Walter, c’est une chose importante, et tu n’en as pas l’habitude. — C’est vrai, dit Anna. — 11 est de. mon devoir de te donner des conseils. J’ai vécu trente ans avec défunt ton père, et je te prie de croire que c’est suffisant pour avoir acquis l’expérience d’un ménage. Avant tout, approuve toujours ton mari. — Ah, dit Anna. — Oui, surtout s’il veut faire des sottises, ce qui arrive souvent. Approuve, mais n’en fais qu’à ta tête. Il s’agit seulement de dire blanc et de faire noir ; on s’y habitue. — Bon, dit Anna. — Sache tenir ferme ta domes ticité ; fais-toi respecter. Evite le coulage ; si riche qu’on soit, c’est de l’argent bêtement perdu. — Continue, encouragea Anna. — Remplis également tes devoirs religieux, va à la