L'ŒUF DUR 10 14 AU THÉÂTRE Natchalo, d’André Salmon et Saunier, au théâtre des Arts. La bouquetière noire offre ses roses au mauvais enchanteur. En lui atta chant la fleur choisie à la boutonnière, elle lui enfonce l’épine dans le cœur. La fleur était montée sur un fil de fer ; rose pourpre en papier, on l’avait faite en froissant un journal bolchevik. La vierge qui se prostitue aux vilains seigneurs, reste insensible à leurs avances. Lin socialiste français lui révèle le fond des choses (secret de Polichinelle). Grande prêtresse de la révolution, elle se laisse troubler un instant par ce parfum intime, elle oublie les mouvements de foules. Si elle se reprend et dénonce le social- traitre, la révolution ne lui pardonne pas d’avoir mêlé aux coquelicots, aux roses pourpres, cette petite fleur bleue. Parmi les cendres froides des autels renversés où les affamés se chauffent les doigts, dans la neige cœur à la crème, on l’écrase framboise. Cette première pièce est pleine de charme et de profondeur, de fraîcheur et d’angoisse. Une poésie mystique, — mais sans recourir à des clairs obscurs, à des lys, à des encens — rythme ce drame où une Chimène, consciente de ses devoirs, se découvre, à son grand désespoir, du tempérament La douleur glacée comme la neige fondante, berce de fatalité les gestes que les auteurs, poètes, ont fait tristes et dolents mais empreints d’une sourde et déchirante Beauté. Francis Gérard. LA PROSE Ouvert la Nuit, par Paul Morand. Nouvelle Revue Française. « Musset reprit un cocktail » ou « Le Sultan ne voulut plus jamais faire taire Shéhérazade ». Guide de nuit, aux lumières, il sait faire danser de jolis corps nus. Dans les bouteilles de champagne les nudités se reflètent avec les lampions, donnent envie de boire et Morand boit au creux de leurs mains du vin, des larmes, quelques gouttes de sueur. Ce La Bruyère tourne autour du pot ; dédaigneux de peindre les dames quand elles sont devant le photographe, à sourire aimablement ; il les entoure d’un petit réseau d’accidents, bien plus vrais, découvre leur marche à un faux pas, leur joliesse à un défaut de l’œil, leur charme à cette faute de goût qui les fait se rosir les lèvres d’encre rouge, briser leur miroir dans leur sirop pour le rafraichir. Sans sa gracieuse fraicheur et ses belles dents on pourrait croire que Morand danse le tango, jongle avec des abricots, parle plusieurs langues. Mais Morand fait simplement l’amour, aime les Jdivans, les parcs, les prétextes, sourit de ses sourires et mord à plein les fruits. Petites silhouet tes troubles des danseuses entrevues aux quatre coins du monde, il jette sur vos épaules le soir votre manteau et son désir, puis, charmant, le retire, long peigne, de vos cheveux, l’enveloppe et le recommande au contrôleur du sleeping où déjà s’endort l’araignée du soir. Francis Gérard. LA POÉSIE Signes des Temps, par Maurice Martin du Gard : poèmes, chez Emile Paul). Il est bien rare de trouver dans une œuvre de début pareille concentration. Les poèmes de M. Maurice Martin du Gard appartiennent à leur époque par un certain air à la fois intellectuel et ironique, je ne sais quelle façon de jouer en même temps sur les deux claviers des vocabulaires de la psycho logie et de la banque (l’esprit de M. Paul Morand plane sur beaucoup d’eux), mais il y a autre chose. Au-dessous de cette écorce, la faisant de partout craquer, germe vigoureusement une âme sombre et forte, lourde de toutes les mélancolies. Et l’on sent aussi qu’une terrible éliminatrice a passé, là : la guerre. Me comprendrait-on si je dis que tout ce qui jaillit de l’inspi ration du poète : images, pensées et sentiments, est aussitôt saisi par elle, et contracté, et réduit à son expression la plus nue. La phrase musicale elle-même ne se résout pas dans son plein accord. Elle s’esquisse seulement et c’est parfois d’un effet bien intense. Francis de Miomandre.