L’ŒUF DUR
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ROBERT HONNERT
Anna et le printemps
Anna se promenait sous les pêchers en fleurs du verger.
La pluie finissait à peine ; Anna baissait la tête et les dernières
gouttes lui coulaient dans le cou. La terre molle, sous l’herbe
reverdie, faisait glisser ses souliers ; le vent rapide soufflait
sur les nuages ; il ne restait plus que le soleil, dans un ciel neuf ;
l’atmosphère humide se réchauffait et les jeunes plantes se
mettaient à briller.
« Ma parole, dit Anna, il me manque une écharpe que d’une
d’une main j’agiterais dans la brise, et un Lamartine que
je tiendrais de l’autre. Jeliraisses strophes d’une voix harmonieuse
et tremblante, jusqu’à ce que des larmes me tombent des
yeux et que mon sein soit gonflé d’un sanglot d’universel amour.
Seulement je suis trop vieille d’un siècle. Je ne m’en désole
pas ; je me sens capable d’être jeune ; j’oublie la philosophie
et le savant génie d’Anatole France. »
Le jeune chien d’Anna vint aboyer autour d’elle en lui mor
dillant la main. Elle rit et essaya de le chasser ; mais comme il
voulait absolument jouer, ils coururent l’un après l’autre en
trébuchant dans l’herbe.
Marcel, après avoir présenté ses hommages à M me Walter,
monta retrouver Anna en haut du jardin. Il marchait tran
quillement,en vrai tourangeau,et prenait garde de ne pas poser
dans les flaques ses souliers vernis. Il tenait à la main son
feutre et ses gants de peau ; ses cheveux lissés reluisaient au
soleil. Anna, en le voyant, s’excusa, et demanda encore cinq
minutes, car Flip désirait poursuivre sa partie. Marcel s’écar
ta ; un coup de vent secoua un poirier voisin et l’inonda de
gouttes et de pétales. Anna, essoufflée s’approcha de
lui. Flip fourrait entre eux sa tête velue. — « Vous savez,
dit Anna, je vous ai fait attendre exprès. » Marcel la
regarda, sans répondre, les yeux tristes. — « Avouez, poursui
vit Anna, que lorsque Flip s’amuse ce serait cruel de le déran