- 16 - venait nous ordonner de ne jamais rien conce voir, ni rien penser en nous-mêmes sans aussi tôt l'exprimer au dehors, le crier même, nous ne le supporterions pas un seul jour. Il est donc vrai que nous appréhendons l'opinion du voisin sur nous-mêmes plus que la nôtre. L’on éprouve du raisonnement le passage, et l’endroit difficile. Il faut admettre, ou le reste s’effondre, que c’est sur la même pensée que les autres se prononcent, et nous — et donc que cette pensée se peut, à volonté, porter du dedans au dehors, ou l’inverse : les mots ne marquent pas sur elle, ces mots sont comme s’ils n’étaient pas. (Je suppose qu’.une idée aussi aiguë, et à chaque instant menacée, faisait le souci de Marc-Aurèle. Seulement il la voulait faire passer en proposant à l’atten tion un paradoxe plaisant.) Les jugements communs sur le mensonge ou la sincérité supposent le même fond : c’est à savoir que l’on parle sa pensée directement, sans intermédiaires, plu tôt que de parler ses mots (dont l’enchaînement et les jeux peuvent suivre des lois différentes, donner trois cents com binaisons inattendues.) Il vient de là quelques sentiments : celui, entr’autres, de la duplicité du menteur qui dans le même moment, suppose la morale, pense le vrai et dit le faux — (mais il suffit d’une légère habitude du men songe, pour reconnaître ici une illusion misérable). Et tous autres jugements dûs, comme il arrivait pour la réclame du sucre, à ce que nous nous conduisons avec les mots, comme s’ils étaient les choses mêmes. IV. RAISON DE LA RIME. Agrys, lorsqu’il a suivi depuis les Romains les aventures d’un mot, parle fièrement de son sens véri table : la religion, dit-il, est lien des citoyens, puisque religio... (il espère ainsi mieux connaître la chose dans le même temps que le mot).