ÇA IRA ! 181 désordonnés, deux êtres qu’agite l’amour et la haine. Il y découvre “avec peine, des tirades pour dévélopper le caractère de celui qui parle, là où sa passion lui ordonnait de ne dire qu’un mot.“ Ainsi s’éveille cette clairvoyance pour lui-même dont ses autobiographies donnent tant d’exemples. Ainsi naît et s'exerce, au sujet des évènements ou à propos de sa psychologie personnelle, la vision calme et lucide, la liberté d’esprit parfois cruelle,souvent ironique, avec laquelle il se regarda vivre. Il va s'observer et se féliciter d’agir ; se pré senter à lui-même les raisons de ses victoires et de ses défaites d’ambition ou sentimentales, comme s’il s’agissait d’un autre. Et cela est d’autant plus remarquable que pareille attitude, fréquente chez les très froids, se trouve ici jointe à un tempérament exalté et ardent à pour suivre toutes jouissances. De cette sincérité parfaite avec soi- même, qui n’hésite pas à s’avouer les petits côtés des plus délicieux instants, que d’exemples me donne-t-il pas ? Il se rend exactement compte de tout ce qui se passe en lui. C'est ainsi qu’une après-midi, goûtant le plaisir d’être près d’une femme aimée, il se trouvait henreux.... Sans doute. Mais il ajoute, le soir, rentré chez lui : “J’étais heureux ; je l’aurais été parfaitement si j’avais eu quatre louis dans ma poche, j’aurais eu cette hardiesse sans laquelle il n’y a point de beauté.“ Est"ce de l’humour? Non, Stendhal ne veut que situer exac tement un état d'âme, en donnant aux faits leur importance réelle. Il est admirable qu’un écrivain, en ce temps romantique, s’apercevant que son bon heur auprès de la femme aimée n’est pas complet, s’avise aussi nettement de la nature de cet embarras. D’autres que lui se fussent émerveillés de l’empêchement où nous sommes d'être jamais heureux. Mais ceux-là n’eussent jamais avoué que la privation de quatre louis pût être si essentiellement liée à cet inassouvis sement. Et ce n’est pas que Stendhal fît de l’amour un simple exercice de sensualité, ou un divertissement où l’esprit seul s’engage. Il s’y donnait sans réserve, corps et âme et n’était entièrement lui que dans la plénitude de la passion. En écrivant la “Vie de Henri Brulard“, il s’en souvient et nous le conte : “L’amour a toujours été pour moi la plus grande des affaires, au plutôt la seule“. Il y aurait beaucoup à citer de la profondeur avec laquelle il aima. Il devient, pendant tout un été, l’assidu d’un salon où l’on parlait italien, uniquement pour se mieux souvenir, à entendre la langue d’une maîtresse dont il dût se séparer, des joies passées. Que de fois, dans les souvenirs d’Egotisme, Stendhal s’émeut à de semblables souvenirs ! Revenu à Paris, le regret des jours heureux l’accable : “Puisque je ne puis l’oublier, ne ferais-je pas mieux de me tuer ?“ se disait-il. Et, chez lui, c’était sérieux. Plus tard, il notera brièvement et avec sécheresse, selon sa coutume : “Je parvenais à ne plus penser à Milan ; pendant cinq ou six heures de suite, le réveil, seul, était encore amer pour moi“. Sous l’appa rente froideur de cette phrase, comme la passion vit encore ! Comme les mots portent !.... Pendant cinq ou