ÇA IRA !
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Stendhal que de vivre. Mais le plus
noblement et de la plus belle façon
possible. Et avec force.
C’est encore en quoi il est plus du
commencement du XX e siècle que du
début du XIX e .
Plus tard, l’âge mûr approchant, il se
désintéressera, pour en avoir vu de près
les médiocrités, du chemin qui conduit
aux postes suprêmes. Mais jamais il ne
se fatiguera de chercher l’amour et
l’occasion de vivre de belles heures
sentimentales. C’est qu’aussi, les débuts
amoureux de Stenhal se placèrent à un
moment ou tout : jeunesse, espoir en
l’avenir, contact avec une armée à ses
premières victoires, découverte des
admirables paysages de l’Italie du Nord,
s’unissaient pour creuser en une sensi
bilité vive d’ineffaçables sillons.
Et certes, il n’oubliera pas. Il prendra,
et saura le conserver, le goût des
passions fortes et graves, qui satisfont
un cœur d’homme. Il cherchera même
dans la femme “une âme de poète“ avec
laquelle il pourrait goûter des bonheurs
“au dessus de l’humain“.
Mais ceci, c’est parler dans l’absolu...,
Dans le relatif, dans le courant de l’exis
tence, l’appréhension qu’il a du ridicule
lui interdit de se livrer, tant qu’il n'est
pas assuré de l’excellence intellectuelle
et du cœur de sa partenaire. S'il doute
seulement, il redevient l’homme d’esprit,
se borne aux désinvoltures de l’amour-
goût, évite toute apparence de gravité
parce qu'il craint d’être profondément
sentimeutal et, par conséquent, triste.
Cela encore lui est dicté par son
mépris pour l’exagération. Il lui plaît
garder en toute la juste mesure et se
conduire de façon à ne rien devoir se
reprocher. Le souvenir d’un moment de
faiblesse, d’une faute d’attitude ou d’un
manque du présence d’esprit, suffit à lui
gâter le souvenir des délicieux moments.
Et souvent son ironie n’est qu’instinc
tive réaction. Le ton général d’une
conversation guide son attitude et s’il y
découvre l’habituelle enflure, de l’hypo
crisie ou un manque de sincérité dans
l’exaltation, le voilà muet, froid ou
railleur en proportion.
De lui et de ceux qui lui ressemblent,
il dit que : “S’ils aperçoivent de l’exa
gération, leur âme n’est plus disposée à
inventer que de l’ironie“.
Ces manques de sincérité, ces atti
tudes étudiées qu’il méprise en d’autres,
il n’a souci que de les rectifier immé
diatement en lui et de ne jamais se
permettre l’expression de l’enthousiasme
sans en avoir vérifié la qualité et la
justesse. — Il exprime ce goût, il
revendique cette préoccupation lorsqu’il
écrit dans la vie de Henri Brulard :
“Ma collaboration passionnée avec les
mathématiques m’a laissé un amour fou
pour les bonnes définitions, sans les
quelles il n’y a que des à-peu-près“.
Il apprécie donc en tout la clarté, la
simplicité, le ton juste, également éloigné
de l’exagération et de l’insuffisance.
C’est ainsi qu’il dit, à propos de la phi
losophie, ce qui serait presque appli-
quable à la littérature de l’idée tout
entière :
“Pour être bon philosophe, il faut
être sec, clair, sans illusion. Un banquier
qui a fait fortune à une partie de carac
tère requis pour faire des découvertes
en philosophie, c’est à dire pour voir
clair dans ce qui est.“
(a suivre).