DRIEU LA ROCHELLE 277 histoires de guerre, pauvres histoires tronquées qui tournaient court dans la mort ou dans l’infamie de l’arrière. Nous parlâmes des femmes, gauchement. Français, pourtant, nous avions hérité de la science des corps, sinon des coeurs. On ne l’aurait pas cru; nous nous rappelions en tâtonnant un sein, une hanche, sans pouvoir dire des noms jamais sus. Nous avions roulé, nos cœurs étaient des pierres sans mousse. Toutes ces femmes, frêles aiguilles affolées par ce gros et long orage qui nous avait fait sortir. Nous rentrions, rincés, avec de drôles de visages qui les inquiétaient, qui les exaspé rèrent. Ce furent d’étranges soirées que celles-là, où il nous fallut faire nos premiers pas dans la vie qui décidément était notre lot. Entre hommes encore, nous errions dans les boîtes de nuit. Dans un domaine étroit et profond, nous avions accompli des actes. Dans notre sang qui coulait, nous avions vu un amour prodigieux. Il n’était pas épuisé. Nous au rions voulu faire quelque chose de plus. Si les hommes avaient osé, si les femmes avaient su. Mais tout le monde se tourna le dos. La guerre n’avait été qu’une parenthèse dans la paix. En notre absence, quelque chose s’était encore détraqué. Grands enfants que nous étions, nous fûmes pris au dépourvu. Comme nos aînés, il nous fallut improviser la paix, comme il leur avait fallu improviser la guerre. Dans un café-concert de quartier, on resservait de vieilles tempêtes. II y avait là, étayée par les faisceaux électriques, debout, une chanteuse qu’on appelait Impéria. Elle était nue dans une robe noire, elle avait un beau poitrail de vache qui aurait pu avoir du lait, elle avait des dents. Le dernier siècle qu’on croyait voir crever, soudain secoué de delirium tremens, se roulait dans le ruisseau de sa voix qu’elle faisait râler. Elle portait toute la tradition : le coup de gueule de 1830, le tour de hanche de 1880. Elle chantait pêle-mêle les petits soldats, les mères qui ne feront plus d’enfants, la haine des Allemands, l’amour battu.