DRIEU LA ROCHELLE 289 Une incessante et incertaine convoitise le tirait hors de chez lui. Mais du jour au lendemain il prenait des habitudes qui le rétrécis saient. La première fois qu’il était entré dans un bar, ç’avait été celui où nous étions, où les hommes seuls étaient admis. 11 y était revenu tous les soirs. Les bars de femmes lui paraissaient plus vulgaires et il ne dansait pas à cause d’une imperceptible lourdeur. L’adolescence est un temps périlleux, fatal à bien des garçons qui prennent alors l’habitude d’attendre et d’oublier le bonheur. Guy La Marche était assez beau pour ne pas attendre. Mais il était lent, au point de négliger même ses désirs et de maltraiter ses appétits. Il comptait sur les occasions; la moindre difficulté lui semblait un bon prétexte pour leur tourner le dos et reprendre son immobilité. Ce soir-là, je commençais à débrouiller le fil replié de sa paresse. Dans un coin de ce bar qui faisait son habitude puérile, il avait trouvé un accueil qui avait flatté en lui de vagues ambitions. Au lycée, Guy avait été lent, il s’était vite découragé, acceptant l’augure de ses maîtres qui l’avaient classé comme propre à rien. Ici, au contraire, des jeunes gens soignés, qui parlaient d’une façon délicate, l’avaient entouré de toutes sortes d’attentions. La Marche avait de l’assurance physique, mais pour des choses dont on lui aurait dit qu’elles étaient précieuses, un besoin obscur et pénible qui le rendait timide, car il ne sentait pas son esprit armé pour ces conquêtes, et pourtant c’était par l’esprit qu’il eût voulu aussi en jouir. Aussi fut-il sensible à l’excès aux découvertes qu’ils lui facilitaient; ils lui prêtaient des livres, lui offraient des cravates, lui montraient des appartements complètement vides, selon le goût du jour. — Ces gens-là sont plus fins que les autres, s’était-il écrié un jour, devant moi. — Pourquoi, mon cher La Marche? — Je ne sais pas, ils sont plus fins. — Vous croyez? On rapproche faiblesse et finesse, force et grossièreté.